Fondé sur la technologie de la blockchain, le crypto art devrait poursuivre en 2022 son irrésistible pénétration du marché de l’art « traditionnel », au risque d’en brouiller les spécificités.
Collectionner - Pour le marché, 2021 fut incontestablement l’année du crypto art et des NFT. Le 11 mars, cette frange très marginale de la création numérique bénéficiait d’une soudaine mise en lumière avec l’adjudication record de 69,3 millions de dollars (soit près de 58 millions d’euros) chez Christie’s pour Everyday: The First 5000 Days, de l’Américain Beeple. « L’événement a été un détonateur, rapporte Axel Reynes, qui organisait une vente de NFT chez Millon à Bruxelles en mai 2021. Personne ne s’attendait à ce résultat, qui fait de Beeple le troisième artiste contemporain le plus cher au monde. On s’est dit qu’on avait une opportunité exceptionnelle. » Pour les acteurs traditionnels du marché de l’art, l’événement a ainsi marqué le début d’un genre de ruée vers l’or. Selon le dernier rapport annuel d’Artprice, les ventes aux enchères de NFT ont progressé de 117 % par rapport à l’exercice 2019-2020 : ces titres de propriété numériques représenteraient désormais 2 % du marché de l’art global, mais deux tiers des ventes en ligne. De quoi stimuler les acteurs classiques, depuis Damien Hirst proposant dans The Currency de choisir entre une œuvre physique et sa version « tokenisée », jusqu’à la création par Sotheby’s de sa propre plateforme de vente, Sotheby’s Metaverse.
Le marché du crypto art n’a pourtant pas attendu les maisons de ventes et les galeries pour se structurer. Pléthorique, il se déploie à bas bruit depuis quelques années sur des plateformes telles qu’OpenSea, SuperRare, Nifty Gateway ou Foundation. Toujours croissant en termes de volumes de ventes, ce far west numérique agrège des collectionneurs spécifiques et des artistes inconnus du monde de l’art – Beeple en est un exemple –, mais dont la cote en crypto-monnaies a parfois de quoi donner le vertige. « Les codes esthétiques du crypto art ne sont pas les mêmes que ceux de l’art contemporain, explique Albertine Meunier, artiste numérique et collectionneuse de NFT. Il faut avoir la culture du net pour comprendre si une œuvre est intéressante ou non. » C’est peut-être dans ce domaine que les galeries et maisons de ventes ont un rôle à jouer : « L’univers des NFT est complexe et la communauté crypto très particulière, souligne Axel Reynes. Mon rôle est de conseiller les collectionneurs classiques, de les former à l’utilisation d’un portefeuille, de leur montrer comment transférer des œuvres et les lister. Côté artistes, les maisons de ventes permettent de créer une cote internationale. » Encore faut-il pour cela que la législation française évolue : à ce jour, les maisons de ventes ont l’interdiction de proposer des NFT car ce sont des « biens incorporels ». Suite à la remise d’un rapport de Cyril Barthalois en janvier 2022, le conseil des ventes volontaires a pourtant émis un avis favorable à une modification de la loi, « sous réserve que des précisions soient en même temps apportées sur l’environnement juridique des NFT au regard du droit français, fiscalité, application du droit de suite et du droit de la propriété intellectuelle notamment ».
1_Robness Figure sulfureuse du crypto art, l’artiste américain se présente sur OpenSea comme « l’un des premiers crypto artistes à faire cela depuis 2016 ». En 2021, Robness a pourtant été banni de la plateforme SuperRare pour y avoir émis le NFT 64 Gallon Toter. En soutien, certains crypto artistes en ont alors repris le motif (une poubelle), au point d’initier un mouvement en soi : le #cryptotrash. Celui-ci fait d’ailleurs l’objet ce mois-ci d’une exposition à l’Avant Galerie Vossen (Paris). Adepte du pied de nez, Robness a fixé à 64 Gallon Toter le prix de 30 900 ETH sur OpenSea, soit l’équivalent d’environ 72 millions d’euros. À l’heure actuelle, cette animation n’a pas trouvé preneur. Si c’était le cas, elle deviendrait l’œuvre de crypto art la plus chère jamais vendue.
10,5 M€
2_Larva Labs NFT édités en série et dominant largement le marché du crypto art, les collectibles CryptoPunks sont l’une des formes les plus célèbres. Créés en 2017 par le duo Larva Labs, ils forment un ensemble de 10 000 personnages uniques de 24 pixels sur 24 générés par un algorithme. Distribués en cinq catégories (alien, singe, zombie, homme, femme) et une large gamme d’accessoires, ils ont d’abord été émis gratuitement sur la blockchain Ethereum, avant de susciter un engouement faramineux : selon un rapport de Chainalysis, ils ont généré 3 milliards de dollars (soit plus de 2,6 milliards d’euros) de transactions en 2021. Ainsi, ce CryptoPunkAlien masqué, portant le numéro 7 523, a été adjugé pour la coquette somme de 11,8 millions de dollars (soit l’équivalent de 10,5 millions d’euros) lors de la vente Natively Digital en juin 2021 chez Sotheby’s.
25 ETH
3_Isaac Wright (@driftersshoots) Selon certains analystes, la photographie pourrait être LE médium en vogue sur le marché des NFT en 2022. Isaac Wright en donne un exemple. Fin janvier, les vues urbaines vertigineuses de ce vétéran de l’armée américaine figuraient parmi les meilleures ventes de la plateforme SuperRare. Une belle revanche pour cet Afro-Américain atteint de stress post-traumatique, à qui l’exploration des toits et des ponts a valu quelques déboires avec la police et un article dans le New York Times. A Home For My Ancestors est une vue brumeuse du Simon Kenton Bridge sur la rivière Ohio, qui fut un point de passage pour de nombreux esclaves. Ce NFT s’est vendu 25 ETH (soit environ 104 000 euros) en novembre 2021.
1 ETH (environ 2 480 € au 1er février 2022)
4_Pboy (Pascal Boyart) Depuis 2019, PBoy jette des ponts entre le street art et le crypto art, en partie pour monétiser et pérenniser ses interventions urbaines gratuites et éphémères. L’artiste est rapidement devenu l’une des valeurs montantes de la communauté NFT, et figure aujourd’hui dans le portefeuille d’éminents collectionneurs. Dernier de ses projets en date, Dollars Nakamoto est de son aveu une « expérience interactive ». En décembre 2021, PBoy éditait d’après l’une de ses toiles 210 NFT d’une boucle vidéo – un portrait de Satoshi Nakamoto, inventeur putatif du bitcoin, pulvérisé en une envolée de dollars. Toute acquisition d’une édition « genesis » permet à son propriétaire d’éditer à sa guise 9 NFT de l’œuvre pendant 10 ans. Une manière ingénieuse de jouer avec sa diffusion et sa circulation dans la communauté du crypto art, et de mesurer au passage les stratégies des collectionneurs.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Les NFT far west ou eldorado ?
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°752 du 1 mars 2022, avec le titre suivant : Les NFT far west ou eldorado ?