Politique culturelle

NFT

Un rapport du ministère de la Culture ouvre la porte aux NFT

Par Barthélemy Glama · Le Journal des Arts

Le 12 septembre 2022 - 833 mots

PARIS

Tout en appelant à en « sécuriser le cadre juridique », les auteurs recommandent « une politique publique ambitieuse » de déploiement de cette technologie dans le secteur culturel.

La boutique de NFT au British Museum de Londres. © LaCollection
La boutique de NFT au British Museum de Londres.
© LaCollection

France. Les NFT soulèvent certes des questions juridiques complexes, ils n’en représentent pas moins une opportunité inédite de modernisation et d’ouverture pour le secteur culturel. C’est en tout cas ce que conclut un rapport remis le 12 juillet dernier au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), une instance consultative chargée de conseiller la ministre de la Culture. Ses auteurs, Jean Martin, avocat à la Cour, et Pauline Hot, maître des requêtes au Conseil d’État, avaient pour mission de « fournir un état des lieux permettant d’identifier, d’analyser et d’évaluer le phénomène des NFT dans ses divers aspects juridiques, notamment au prisme des droits d’auteur ».

Une soixantaine d’auditions de professionnels du secteur, venus de tous les horizons (acteurs de terrain, professionnels du marché de l’art, experts en cryptomonnaies, artistes), leur ont permis de proposer, pour la première fois en France, une qualification juridique des NFT. Les « JNF » (pour « jetons non-fongibles ») comme ils les nomment à travers le rapport, constituent selon leur expression un « objet juridique non identifié ». Les fameux jetons, qui s’échangent en ligne contre des cryptomonnaies et dont le marché a explosé en 2021, sont en effet une forme de certificat de propriété un peu floue : s’ils renvoient à un objet physique ou virtuel, ils ne sont pas eux-mêmes une « œuvre de l’esprit » au sens du code de la propriété intellectuelle pas plus que le support de cette œuvre et ne peuvent pas non plus s’apparenter à un certificat d’authenticité (les jetons sont neutres, ils ne disent rien de l’objet auquel ils renvoient). Pour les rapporteurs, ils se rapprocheraient donc d’un « titre de droit dont l’objet, la nature et l’étendue varient en fonction de la volonté de son émetteur ».

De réelles opportunités

Cette définition complexe et, pour l’heure, peu encadrée juridiquement fait peser sur les NFT un certain nombre de risques, observent les auteurs du rapport : il est encore difficile de garantir la parfaite protection des droits d’auteur, par exemple, ou même l’application du droit de suite (la rémunération dont bénéficient les artistes lors de la revente de leurs œuvres) dans toutes les situations. Jean Martin et Pauline Hot relèvent également que le code de la consommation ne trouve pas toujours à s’appliquer sur les plateformes d’échange de NFT, ne protégeant qu’insuffisamment le consommateur des fraudes et des escroqueries, dans un contexte particulièrement spéculatif qui tend à les favoriser.

On aurait tort, toutefois, développe le rapport, de ne regarder les NFT qu’au prisme de ces risques et de la spéculation. Les nombreux écueils ne doivent pas « dissimuler les opportunités réelles » qu’offrent les jetons pour le secteur culturel en particulier : les collectionneurs peuvent y trouver une nouvelle manière d’acquérir, de conserver de manière sécurisée et de revendre des œuvres ; certains artistes peuvent à travers eux s’essayer à de nouveaux médias et à de nouvelles pratiques, notamment le « crypto-art » ou l’art numérique, et espérer toucher de nouveaux publics ; les photographes pourraient y voir un atout pour la traçabilité de l’usage de leurs œuvres ; enfin le mécénat pourrait en faire un instrument de levée de fonds et les institutions culturelles un « outil de démocratisation et de valorisation ».

Des expérimentations progressives

Parmi les vingt recommandations que formulent les deux auteurs, la plus importante vise précisément les établissements publics du ministère de la Culture : ils les invitent à n’opter ni pour l’attentisme méfiant ni pour l’investissement massif dans cette technologie, mais plutôt à des « expérimentations progressives » leur permettant de s’engager à pas feutrés dans le marché des NFT. Les musées pourraient acquérir quelques jetons pour enrichir leurs collections ou bien créer des jumeaux numériques des œuvres qu’ils exposent. Ce serait, pour les auteurs du rapport, un choix cohérent avec leur mission.

Il faudrait, pour ce faire, mieux sécuriser le cadre juridique qui entoure les NFT. C’est le sens des dix-neuf autres recommandations formulées par le rapport, qui proposent entre autres de soumettre les jetons à la directive européenne de 2019 sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique, de clarifier l’applicabilité aux NFT du régime fiscal des actifs numériques ou encore d’élaborer un ensemble d’« orientations stratégiques clarifiées et coordonnées », c’est-à-dire une véritable politique publique menée à l’échelle du ministère.

« Je suis tout à fait d’accord avec le constat posé », commente Brian Beccafico, expert NFT chez Sotheby’s, « mais les recommandations restent assez floues dans l’ensemble ». S’il partage la nécessité de l’harmonisation européenne, d’une fiscalité adaptée et d’une politique culturelle d’envergure, il note que le rapport ne propose rien de neuf en ce qui concerne, par exemple, la protection contre les risques économiques, financiers et juridiques, la lutte contre la contrefaçon ou encore la réduction de l’empreinte écologique des NFT : beaucoup de ces propositions « sont en fait déjà effectives et sont des initiatives menées par des individus ou des organisations privées. Nous ne faisons qu’attendre que les pouvoirs publics se mettent à la page ».

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°594 du 9 septembre 2022, avec le titre suivant : Un rapport du ministère de la Culture ouvre la porte aux NFT

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque