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GALERIES D’ART CONTEMPORAIN

Les galeries à la campagne

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 3 août 2021 - 845 mots

FRANCE / ANGLETERRE / ESPAGNE

Christophe Gaillard en Normandie, Hauser & Wirth dans les Baléares, Jean-Gabriel Mitterrand et son fils Edward en Provence… : les galeries investissent de plus en plus dans des résidences secondaires.

Vue de la Résidence - Le Tremblay, Galerie Christophe Gaillard, Orgères. Au 1er plan : Hélène Delprat, Marcello Dove Sei ???, 2021, sculpture / fontaine produite avec la participation du Centre national des arts plastiques. © Galerie Christophe Gaillard
Vue de la Résidence - Le Tremblay, Galerie Christophe Gaillard, Orgères. Au 1er plan : Hélène Delprat, Marcello Dove Sei ???, 2021, sculpture / fontaine produite avec la participation du Cnap.
© Galerie Christophe Gaillard

France, Angleterre, Espagne. « Afin de vous accueillir sous le soleil, nous reportons au samedi 3 juillet l’ouverture du Château du Tremblay, initialement prévue le 26 juin. » En Normandie, où la Galerie Christophe Gaillard termine les travaux d’aménagement d’un manoir avec dépendances au milieu d’un parc, les pluies diluviennes sont venues « bousculer le calendrier ». Le brunch champêtre autour du dévoilement de la fontaine d’Hélène Delprat (Marcello Dove Sei ???) ainsi que l’inauguration de l’exposition « De Natura Rerum » ont donc été différés. Garden party remise. Cela fait partie des vicissitudes d’une maison de campagne. Avec cette adresse à deux heures de Paris, le galeriste parisien a souhaité créer un lieu convivial, ouvert sur rendez-vous, doté d’une résidence d’artistes. De l’éclairage nocturne des arbres au choix des poignées de porte, en passant par le mobilier design vintage, tout a été pensé dans le moindre détail. Au milieu d’un parterre végétal, les jeux d’eau de la fontaine baroque dessinée par Hélène Delprat ajoutent à l’ensemble une touche de folie programmatique : c’est en effet la première pièce d’un futur parc de sculptures.

Christophe Gaillard n’est ni le premier ni le seul à projeter son activité en dehors d’un centre urbain, dans un environnement aussi privilégié que bucolique. Avec ce nouveau décor, la galerie opère également un changement d’échelle. Le même que celui sur lequel a misé depuis ses débuts la Galleria Continua : avant d’ouvrir 800 mètres carrés dans le Marais, celle-ci s’est d’abord installée à Boissy-le-Châtel (Seine-et-Marne) à 60 kilomètres de la capitale sur une gigantesque friche industrielle, « Les Moulins », bordée par un cours d’eau. Ce site spectaculaire n’a cependant pas de véritable vocation commerciale, la plupart des ventes s’effectuant ailleurs, sur les foires. La résidence Le Tremblay n’entend pas fonctionner non plus comme une vitrine en milieu rural. « Il n’y a pas de “business model” », assure son fondateur, sans exclure cependant un retour sur investissement. Son inspiration, Christophe Gaillard la doit en partie à sa visite du lieu, « sublime ! » selon son propre terme, conçu par Hauser & Wirth à Somerset. La galerie suisse a en effet luxueusement réaménagé en 2015, dans le sud-ouest de l’Angleterre, un ancien corps de ferme. Elle s’apprête à en ouvrir un deuxième le 17 juillet à Minorque (Baléares) : lancée il y a deux ans, une réhabilitation menée par l’architecte Luis Laplace a permis de transformer un ensemble de structures liées à un ancien hôpital en un complexe de huit galeries, plus une boutique et un restaurant. En tout, 1 500 mètres carrés associés à un parcours de sculptures de Louise Bourgeois, Eduardo Chillida, Franz West…

Intempéries et sangliers

Le rapport à la nature est également le pari fait par la galerie Albarràn Bourdais, dont le projet, en Espagne (Matarraña), mêle art et architecture d’avant-garde dans un parc naturel à la beauté sauvage. Eva Albarran et Christian Bourdais y organisent la deuxième édition d’un « Summer group show » rassemblant les œuvres de neuf artistes femmes, de Claudia Comte à Rachel Whiteread en passant par Kiki Smith ou Camille Henrot. À terme, le site devrait comporter, outre une collection de maisons façon « case studies » (étude de cas), dès validation du permis de construire, un hôtel signé de l’architecte chilien Smiljan Radic.

Il faut de l’ambition, de l’entregent, des moyens et une forme d’inconscience pour se lancer dans ce type d’aventure. En créant avec son père, Jean-Gabriel Mitterrand, le Domaine du Muy, en Provence, Edward Mitterrand n’avait pas véritablement pris la mesure de l’entreprise. Paysagé par Louis Benech, agrémenté d’une maison de style méditerranéen repensée par la designer India Mahdavi, le domaine abrite une quarantaine d’œuvres en plein air exposées… aux intempéries et aux sangliers. Au bout de sept ans de fonctionnement, cette adresse emblématique, et relativement confidentielle, de l’art contemporain en Provence n’a pas encore trouvé sa rentabilité. Elle entre aujourd’hui dans la deuxième phase de son existence, moins axée sur la vente d’œuvres, qui suppose une logistique importante pour les déplacer et les remplacer, que sur la valorisation d’une expertise recherchée. « Le Domaine du Muy est devenu un laboratoire pour la sculpture d’extérieure, souvent monumentale, explique Edward Mitterrand. Nous avons mis au point des protocoles ; le lieu témoigne aujourd’hui du fait que nous avons un savoir-faire, dans le choix des œuvres adaptées au site, dans leur entretien, leur manipulation. C’est une expertise encore rare, que nous commercialisons comme un service. » Le parc expose parfois des pièces qui dormaient jusque-là dans des storages, mises en dépôt par des collectionneurs. Mais la prochaine étape vise surtout à en coproduire des œuvres avec des galeries partenaires. « L’idée est que l’original reste de façon pérenne sur la propriété et qu’il soit possible d’en vendre une édition. » Ainsi du grand disque en marbre blanc d’Oscar Tuazon coproduit avec la Galerie Chantal Crousel, qui trouvera bientôt sa place dans le feuillage d’un arbre du domaine comme s’il avait toujours été là. Et dont il sera éventuellement possible de discuter le prix, à l’issue de la promenade, sur la vaste terrasse ombragée, un verre de rosé à la main. C’est tout le charme du lieu.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°571 du 9 juillet 2021, avec le titre suivant : Les galeries à la campagne

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