Art impressionniste et moderne

Les acteurs chinois dopent les ventes

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 24 novembre 2015 - 785 mots

Doublant les ventes d’art impressionniste et moderne de l’an dernier, celles de cette année comportent des enchères vertigineuses, mais aussi des œuvres majeures invendues car surévaluées.

Un montant record de 1,16 milliard de dollars a été récolté par Sotheby’s et Christie’s pour cette session de ventes de novembre contre 645,4 millions l’an passé, soit une hausse de 70 %. Mais ces chiffres vertigineux masquent des invendus dus à des estimations trop fortes.

En effet, avec des estimations poussées au maximum, le marché ne peut pas toujours éviter la casse. Aussi, même s’il est toujours soutenu, il est très complexe : « D’un côté, il y a des prix extraordinaires, comme pour le Nu couché de Modigliani et de l’autre, des œuvres importantes qui ne suscitent pas d’enchères en raison d’estimations fixées à un niveau excessif, comme cela a été le cas pour un pastel de Degas, pourtant d’une qualité exceptionnelle », souligne Christian Ogier, marchand (Galerie Sepia, Paris). Femme nue de dos était estimé en effet 15 à 20 millions de dollars. Ceci explique aussi que de nombreux prix soient restés dans la fourchette de leurs estimations ou même en dessous de leur estimation basse. « À force de pousser les prix à un niveau stratosphérique, on en arrive à un marché très étroit », ajoute-t-il. Chez Sotheby’s, en quatre ventes (376 lots en tout), l’art impressionniste et moderne a totalisé 629 millions de dollars contre 470 millions de dollars en 2014. Un résultat en hausse certes, mais que la dispersion de la collection Taubman, l’ex-PDG de la maison de ventes, est venu gonfler en récoltant 269 millions de dollars rien que pour ses œuvres d’art impressionniste et moderne. La session a été menée par La Gommeuse, de Picasso, (est. 60 millions de dollars), toile peinte au tout début de sa période bleue. Adjugée 67,5 millions de dollars, son vendeur, le collectionneur d’art William Koch, a fait une belle plus-value car il avait acheté l’œuvre chez Sotheby’s Londres en 1984 1,4 million de livres, soit environ 2 millions de dollars à l’époque. Autre belle plus value pour Koch, avec un Nymphéas de Monet, adjugé 33,9 millions de dollars (est. 30 à 50 millions de dollars) et acheté en 2010 chez Sotheby’s New York 11,6 millions de dollars (valeur réactualisée). Cette toile avait été vendue en 1995 près de 9 millions de dollars.

Modigliani affole les collectionneurs chinois
Chez Christie’s, les ventes d’art impressionniste et moderne (ventes du soir et ventes du jour) ont récolté 540,5 millions de dollars (contre 175,5 en 2014 !). The Artist’s Muse du 9 novembre, une vente « cross over », réunissant de l’art impressionniste et moderne, mais aussi de l’art contemporain, a rapporté 491,3 millions de dollars, dépassant son estimation basse fixée à 440 millions de dollars. En ne comptabilisant que les œuvres d’art impressionniste et moderne, le total s’élève à 342,3 millions de dollars. L’œuvre qui a attiré tous les regards est le Nu couché, de Modigliani, absent du marché depuis une trentaine d’années et acquis au téléphone par le collectionneur chinois Liu Yiqian pour 170,4 millions de dollars. Il prévoit de l’exposer dans le musée qu’il a créé, le Long Museum à Shanghaï. C’est également un acheteur asiatique qui a acquis le Portrait de Paulette Jourdain (1919) par Modigliani (collection Taubman) vendu 42,8 millions de dollars. « Le poids qu’a pris l’Asie dans les enchères sur les lots “trophées” est considérable. Ce sont les acheteurs chinois qui soutiennent la compétition et sans leur présence, ces prix ne seraient pas possible », explique Christian Ogier. Nu couché est devenu la deuxième œuvre la plus chère jamais vendue aux enchères après Femme d’Alger, de Picasso adjugée en mai dernier 179,3 millions de dollars chez Christie’s New York. La vendeuse, Laura Mattioli Rossi, fille du collectionneur italien Gianni Mattioli, avait reçu la garantie d’un prix minimum fixé à 100 millions de dollars. Ce prix ayant été dépassé, la maison de ventes peut se réjouir, car elle va se partager les bénéfices avec le tiers garant. Quant aux taux d’invendus, en moyenne entre 20 et 30 % pour chaque vente, comme dans The Artist’s Muse de Christie’s lors de laquelle cinq œuvres d’art impressionniste et moderne sur vingt n’ont pas trouvé preneur (notamment un Rodin, deux Ferdinand Léger, un Picasso et un Giacometti), ils sont élevés et pourraient révéler un refroidissement du marché. Mais pour Christian Ogier « Si, lors des deux dernières saisons, nous étions descendus à 15 % d’invendus – l’une des conséquences du boom du marché – il ne faut pas oublier que la moyenne historique pour cette catégorie est de 25 %. Le marché revient à plus de discernement, d’exigence ». Et il se concentre sur les valeurs sûres.

Légende photo

Preview de la vente aux enchères Christie's à Hong Kong en Mai 2012 © Photo Sunbeamprowce - 2012 - Licence CC BY-SA 3.0 

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°446 du 27 novembre 2015, avec le titre suivant : Les acteurs chinois dopent les ventes

Tous les articles dans Marché

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque