La situation du marché de l’art en 2019 permet d’évoquer quelques hypothèses pour 2020 sur la base d’un scénario de reprise progressive de l’activité d’ici l’été.
Il y encore quelques semaines, une baisse de 5 % du marché de l’art dans le monde – ce qui s’est passé en 2019 – aurait été considérée comme un sérieux accident par les professionnels. Aujourd’hui que le monde entier est à l’arrêt ou presque, galeristes et experts en maisons de ventes signeraient à deux mains et les yeux fermés pour ne subir qu’une baisse limitée à 5 ou 10 % en 2020. Car, dans le scénario sanitaire et économique le plus favorable, celui qui permet une reprise progressive du marché à l’été avec un phénomène de rattrapage à l’automne, on s’oriente plutôt vers une baisse de 30 à 50 %. Le rapport annuel Art Basel produit par Clare McAndrew (voir ill.) qui contient une mine d’informations permet de mieux comprendre les dynamiques du marché mondial et ainsi de repérer ses forces et faiblesses à l’aune de la plus grave crise que l’on traverse depuis… la grippe espagnole après la Première Guerre mondiale ? La crise économique de 1929 ? Personne ne sait tant la situation est inédite.
En 2019, ce sont les facteurs économiques et géopolitiques dans un marché très concentré qui expliquent principalement la baisse de 5 %, ramenant le marché à son niveau de 2017, soit 64,1 milliards de dollars (tous les prix sont indiqués en dollars soit un peu plus qu’en euros). Trois pays à eux seuls font plus de 80 % du marché : les États-Unis, le Royaume-Uni et la Chine. Que ces trois pays traversent des difficultés et c’est tout le marché qui baisse. Ainsi le ralentissement économique en Chine, amplifié par son conflit commercial avec les États-Unis, fait plonger le marché de l’art chinois de 10 %. Tandis qu’empêtré dans le Brexit, le Royaume-Uni affiche une baisse de 9 %. La France – une fois n’est pas coutume – enregistre une hausse de 7 % de son marché, mais elle pèse si peu à l’échelle internationale (6 % en 2018 et 7 % en 2019), que cette hausse ne change rien à la physionomie mondiale.
Dans le détail, la baisse du nombre de lots importants vendus aux enchères pèse fortement sur l’indice global, et ce n’est pas de bon augure pour 2020. Les ventes aux enchères qui représentent environ 40 % du marché, ont chuté de 17 % en valeur alors que les ventes chez les antiquaires et galeries ont augmenté de 2 %. Et ce secteur est ultra concentré. Là aussi, trois acteurs – Christie’s, Sotheby’s et le chinois Poly – pèsent près de la moitié (45 %) des ventes aux enchères. Plus encore, les ventes publiques sont très dépendantes des œuvres au-dessus du million de dollars qui constituent 55 % de leurs chiffres d’affaires. Clare McAndrew indique que le nombre de lots mis en vente d’une valeur supérieure à 10 millions de dollars a diminué d’un tiers. Dans un climat d’incertitude économique, les riches collectionneurs hésitent à soumettre ce qu’il faut appeler leurs placements financiers au feu des enchères. Alors, à moins d’un rebond inespéré des bourses d’ici la fin de l’année, les maisons de ventes, si elles redémarrent, devront se contenter du tout-venant.
S’agissant des galeries, on observe que le contexte économique n’a pas le même impact sur leurs activités et qu’elles ont plutôt bien tiré leur épingle du jeu en 2019 (+ 2 %). Dans l’hypothèse d’une franche reprise à l’automne, la fuite des riches collectionneurs devrait mettre à mal les galeries internationales tandis que les marchands, avec les coûts de fonctionnement réduits au minimum, pourraient revoir quelques clients préférant l’intimité de l’espace de la galerie à la foule des foires. Selon le rapport, les petites galeries (moins de 500 000 € de CA) réalisent 30 % de leurs ventes dans les foires, mais ce taux monte à 47 % pour les grandes galeries (CA supérieur à 10 M$).
Dans ce contexte dramatique, tous les espoirs se reportent sur les ventes en ligne qui contribuent à hauteur de 9 % du marché. En particulier les maisons de ventes qui sont les principaux opérateurs sur ce canal. Christie’s a ainsi organisé en 2019, 83 ventes exclusivement sur Internet rapportant 86 millions de dollars. On voit ainsi que les prix adjugés restent faibles, entre 6 700 dollars et 8 500 dollars. Jusqu’à présent, les riches acheteurs ne s’intéressaient pas trop à ce canal de ventes. Selon une enquête auprès de 1 300 collectionneurs publiée dans le rapport, ils ne sont que 9 % à préférer les ventes en ligne ; naturellement ce comportement ne peut que changer pendant la période intermédiaire d’après crise. Mais tout cela reste pure spéculation intellectuelle face à l’inconnu devant nous.
Acheteurs. Le rapport Art Basel publie de nombreuses données sur le profil et le comportement des collectionneurs. Il y a 47 millions de millionnaires en dollars dans le monde dont 167 000 ultra riches (avec un patrimoine supérieur à 50 millions de dollars). Un sondage auprès de 1 300 millionnaires dans les principaux pays révèle que 76 % ont acheté une œuvre d’art en 2017-2019. Les collectionneurs détiennent en moyenne 76 œuvres d’art dont 30 % sont mis dans des réserves. Le rapport observe que de plus en plus de personnes fortunées dans le monde hériteront d’œuvres d’art de leurs parents ce qui peut engendrer deux types de comportements. Les uns se satisferont des collections transmises par héritage et n’achèteront plus ou peu, tandis que d’autres y trouveront une raison pour agrandir la collection. L’attitude des acheteurs dépendra de la durée de la crise sanitaire et de l’impact de la dépression économique et boursière sur leur patrimoine. Plus profondément cette crise peut modifier leur rapport à l’art, certains préférant dorénavant investir dans des biens de sécurité et de confort. Une chose est sure, les prix baisseront fortement et les œuvres superficielles resteront dans les ateliers.
Jean-Christophe Castelain
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Le marché de l’art à l’épreuve du Covid-19
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°542 du 27 mars 2020, avec le titre suivant : Le marché de l’art à l’épreuve du Covid-19