Foire & Salon - Photographie

L’ambitieux Paris Photo

Par Gisèle Tavernier · Le Journal des Arts

Le 31 octobre 2011 - 1150 mots

La quinzième édition de la foire parisienne affiche une programmation réinventée au Grand Palais - Pour une reconnaissance accrue, son directeur accueille de puissantes galeries américaines.

« Paris Photo n’est plus un club d’amis, mais devient une compétition », annonce Julien Frydman, directeur de la foire photographique ayant rang de leader mondial. L’ancien chef de l’agence de presse Magnum à Paris installe, au Grand Palais, une quinzième édition qui voit grand. Tout en mettant à l’honneur la photo africaine de Bamako au Cap, le lieu inaugure une programmation réinventée allant d’une « Plateforme » réflexive autour de la photographie à la collection privée, de la diversité des dernières acquisitions d’institutions muséales internationales (International Center of Photography à New York, Tate Modern à Londres, Musée de l’Élysée à Lausanne) à la création d’un prix Paris Photo du livre. « Toutes les possibilités du Grand Palais, porte-drapeau de Paris, nous ont servi pour donner un coup d’accélérateur à ce rendez-vous photographique unique », poursuit Frydman. En dépit d’un prix du stand en hausse de 12 %, quarante-quatre galeries ont rejoint la foire qui réunit cent onze exposants originaires de trente pays.

Signe de cette montée en puissance, la Gagosian Gallery américaine (New York), acteur phare du marché de l’art contemporain international, arrive en proposant des œuvres du grand Richard Avedon, et de Taryn Simon, primée aux Rencontres d’Arles en 2009, tandis que la Fraenkel Gallery (San Francisco) attire avec un rare portfolio de Sol Lewitt (2004-2007). Le nec plus ultra de la photo contemporaine s’y négocie entre 600 000 et plus d’un million d’euros. Sur fond de crise économique, des galeries plus modestes, qui ont perdu des acheteurs, ont à l’œil ces arrivées qui pourraient formater le marché contemporain autour d’icônes au moment où des foires satellites qui essaiment – Photo Off (lire l’encadré), Fotofever, Nofound Photofair, Offprint, section « photo » de Chic Art Fair – offrent à petits prix la création émergente.

Du XIXe siècle à la création actuelle
« Loin d’être une menace, ces galeries américaines vont tirer Paris Photo vers le haut en obligeant à des choix curatoriaux plus forts », argue Julien Frydman. Certaines pièces de Man Ray qui se négociaient jusqu’à 400 000 euros se vendent actuellement pour la moitié de ce prix. « La mise en avant de la photo contemporaine fait concurrence à des pièces de musée de l’époque moderne », constate la galeriste parisienne Françoise Paviot, qui vend des Polaroid d’Anna et Bernhard Blume à 3 000 euros, aussi bien que le portrait peu vu Guru Mask/Ivory Coast (vers 1914) d’Alfred Stieglitz à 20 000 euros. Si le marché donne la prime aux œuvres fortes, Paris Photo reste fidèle à son offre diversifiée, du XIXe siècle (galeries Hans P. Kraus, de New York, et Daniel Blau, de Munich) à la création actuelle.

Au gré des stands, on note un rare vintage du portrait Jean Cocteau, 1926 par Berenice Abbott (Howard Greenberg, New York), des images peu vues de Dakar par William Klein (Le Réverbère, Lyon), la série Resort d’Anna Fox (James Hyman Photography, Londres), auteur britannique de renom, comme les œuvres conceptuelles récentes de Mat Collishaw (Analix Forever, Genève) ou encore d’Édouard Levé (Loevenbruck, Paris).

« Je voudrais une grande photo en couleurs qui en jette dans mon salon », réclamait l’an dernier un collectionneur à la galeriste Françoise Paviot. Faire comprendre au visiteur l’unicité d’une œuvre et son prix, c’est le rôle innovant de « Plateforme », un lieu de réflexion ponctué de performances et animé par la critique d’art Chantal Pontbriand. Les thèmes débattus (géographie, technologie, médias-société et corps) autour de la notion de « mutations » feront l’objet d’un ouvrage éponyme regroupant une cinquantaine d’intervenants, du sociologue au théoricien de l’art.

Pour la dernière fois, Paris Photo met à l’honneur une zone régionale. Disséminée à travers la foire, la photo africaine de Bamako au Cap est célébrée à travers l’exposition « African Emerging Photography » conçue par Michket Krifa et Laura Serani, directrices artistiques des Rencontres de Bamako, biennale qui a fait connaître Malick Sidibé ou Samuel Fosso. « Alors que la photo africaine a été découverte à travers la photo de studio, l’accent est mis sur la photo plasticienne et le style documentaire personnel », explique Michket Krifa, qui a sélectionné douze artistes trentenaires parmi lesquels Abdoulaye Barry (Tchad), Mohamed Camara (Mali) et Nestor Da (Burkina Faso).

Une foire qui compte
À Paris Photo, la thématique africaine, dépassant la vision post-coloniale, montre ses richesses à travers un raccourci de l’histoire de la photo africaine du XIXe siècle au jeune talent Alain Polo (Maison Revue Noire, Paris), avec la série Mémoire de Sammy Baloji, la série Povporn : Death, 2011 d’Ayana V. Jackson (Gallery Momo, Johannesburg), des extraits du magazine sud-africain Drum (Bailey Seippel, Johannesburg), le premier à décrypter la culture noire, ou encore la série complète In Boskburg (1979) de David Goldblatt (Goodman Gallery, Johannesburg). Inédite, l’exposition d’André Magnin (Paris) autour de Kinshasa, capitale de la sape et de la fête dans les années 1950-1970, confronte les œuvres des photographes Jean Depara et Seydou Keïta aux peintures de Moke ou Chéri Cherin.

En complément, la section « Collection privée » accueille la collection d’Artur Walther, issue de l’exposition « Events of the Self : Portraiture and Social Identity » présentée en 2010 à la Walther Collection à Neu-Ulm (Allemagne) : trois générations de portraitistes africains, parmi lesquels Santu Mofokeng, Jo Ractliffe, Rotimi Fani-Kayode, sont mises en regard de l’œuvre moderne d’August Sander et contemporaine de Bernd et Hilla Becher. « On y voit deux moments contrastés de transformation sociale au XXe siècle comme les similarités existant entre les vastes portraits de société qu’ont effectués August Sander dans l’Allemagne des années 1910-1920 et Seydou Keita à Bamako dans les années 1950 », explique Artur Walther. Foisonnant, Paris Photo s’est donné un objectif : « Entrer dans le top 10 des foires qui comptent », selon Julien Frydman. Verdict à la clôture de la manifestation.

La jeune création espagnole à la Bellevilloise

Quatorze jeunes galeries, un ticket d’entrée à cinq euros et des œuvres entre 500 et 8 000 euros : frondeuse, la deuxième édition de Photo Off, salon de photographes émergents qui se tient à la Bellevilloise, à Paris, met un coup de projecteur sur la jeune création espagnole. « Ces images pures, bien réalisées, surprennent venant d’un pays en pleine dépression économique », note Janette Danel, directrice artistique de Photo Off. Outre les origamis poétiques de Lola Guerrera (Barrenechea, Madrid) ou les superbes natures mortes de Toni Catany (Valid Foto, Barcelone), ce salon, qui innove avec un prix récompensant une galerie, offre des introuvables du collectif Tendance Floue.

Photo Off, du 10 au 13 novembre, La Bellevilloise, 21, rue Boyer, 75020 Paris, www.photooff.com


PARIS PHOTO

Du 10 au 13 novembre, Grand Palais, avenue Winston-Churchill, 75008 Paris. www.parisphoto.fr, tlj 12h-20h, vendredi jusqu’à 21h30, dimanche jusqu’à 19h. Catalogue, 412 p., 25 €

Lire le dossier du Journal des Arts du 4 novembre 2011 : Une photo engagée

- Promenade photographique

- Entretien avec Pascal Beausse : « Le Cnap, au plus près de l’actualité »

- Le monde envoûtant de Diane Arbus

- L'épreuve du marteau

- Deux galeries investissent l'Afrique


Légende photo :

Paris Photo au Grand Palais - 11 novembre 2011 © photo Ludosane

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°356 du 4 novembre 2011, avec le titre suivant : L’ambitieux Paris Photo

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