PARIS
La photographe américaine fait l’objet d’une grande rétrospective au Jeu de paume à Paris. Le parcours déroutant associe des clichés légendaires ou peu vus.
Un jour de 1956, la photographe de mode américaine Diane Arbus décide, à 33 ans, de lâcher le studio publicitaire créé à New York avec son mari Allan. Un tournant décisif. Jusqu’à son suicide en 1971, cette portraitiste, formée dès les années 1940 par Berenice Abbott puis Alexei Brodovitch, directeur artistique du magazine Harper’s Bazaar, va inventer un style documentaire unique marquant l’art de la photographie du XXe siècle. Les clichés envoûtants de la New-Yorkaise, née en 1923, fouillent la psyché de freaks, ces phénomènes de foire, de travestis, d’individus de la classe moyenne ou de nudistes. Avec plus de deux cents clichés autorisés par The Estate of Diane Arbus (sa succession régie par sa fille Doon Arbus), la première grande rétrospective « Diane Arbus » en France, présentée au Jeu de paume à Paris, façonne le mythe d’un génie avant-gardiste qu’étaye une biographie elliptique. L’importance de son œuvre, célébrée dès 1972 au Museum of Modern Art (MoMA) de New York comme à la Biennale de Venise, aurait justifié de documenter sa formation de peintre, les influences reçues de Niepce, Weegee ou Walker Evans, comme ses métamorphoses artistiques sous la férule de la portraitiste Lisette Model et du directeur artistique du magazine Seventeen, Marvin Israel.
Triplées dans leur chambre à coucher, New Jersey 1963 ; Amis lilliputiens russes dans un salon de la 100e rue, New York 1963 ; Jeune homme en bigoudis chez lui, 20e Rue, N.Y.C. 1966 : d’emblée, des images fortes annoncent les thématiques. De 1956 à 1971, Arbus a constitué une typologie de la société américaine faisant l’effet d’un brillant thriller. À dessein, aucun texte ne guide le visiteur. « Seule l’œuvre homogène et la courte carrière de Diane Arbus permettaient un tel exercice critique », explique Marta Gili, directrice du Jeu de Paume, qui a pris le contre-pied de l’exposition didactique itinérante « Revelations », dévoilant un pan de ses archives secrètes, lancée au San Francisco Museum of Modern Art en 2003. Hasard du calendrier autant que refus de la mainmise de The Estate of Diane Arbus, « Revelations » ne fut pas montrée en France.
Série inédite
Au Jeu de paume, un parcours anachronique déroutant entremêle les sujets de reportage et les recherches personnelles. Des images aussi légendaires que Jumelles identiques, Roselle, N.J. 1967 que réédite la monographie anniversaire Diane Arbus (éd. La Martinière) côtoient des clichés peu vus, à l’instar de Garçon descendant du trottoir, 1956, sa première œuvre hypnotique. Les mondains, les gays, les junkies : plus crue que Robert Frank, Arbus oblige l’Amérique à regarder en face ses préjugés sociaux. Sa vision teintée d’étrangeté est huée lors de l’exposition phare « New Documents » au MoMA, qui l’associe à Garry Winogrand et Lee Friedlander en 1967. « Rebelle aux codes de la bourgeoisie des années 1940-1950, Diane Arbus a participé inconsciemment à la contre-culture américaine en train d’émerger », estime Marta Gili. Ses portraits tragiques de travestis, ses scènes d’amour intrusives montrent la devancière de Nan Goldin. Sous le titre Une superstar sur son canapé, 1966, le portrait de Viva aux airs de droguée tait une mise en scène sensationnaliste qui révolta cette égérie d’Andy Warhol, relate la biographe Patricia Bosworth. Clou de la rétrospective, la série inédite Sans titre (1969-1971) tranche par un lyrisme inhabituel. Une lumière adoucie fait irradier l’innocence d’handicapés mentaux. Leurs cortèges costumés durant les fêtes d’Halloween renvoient à La Mort et les masques (1897) de James Ensor. « J’ai enfin trouvé ce que je cherchais », exulte Diane Arbus, qui signe son œuvre ultime.
Jusqu’au 5 février 2012. Jeu de paume, 1, place de la Concorde, 75008 Paris, tél. 01 47 03 12 50, www.jeudepaume.org, tlj sauf lundi 12h-19h, mardi jusqu’à 21h, week-end 10h-19h.
Cat., coéd. La Martinière et Jeu de paume, 184 p., 25 €, ISBN 978-2-7324-4599-1
Commissariat : Marta Gili, directrice du Jeu de paume
Nombre d’œuvres : plus de 200, de 1956 à 1971
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Le monde envoûtant de Diane Arbus
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°356 du 4 novembre 2011, avec le titre suivant : Le monde envoûtant de Diane Arbus