Justice

La justice conforte Jacques Villeglé comme seul auteur de ses œuvres

Par Alexis Fournol (Avocat à la cour) · lejournaldesarts.fr

Le 16 mai 2018 - 694 mots

PARIS

La cour d’appel de Paris confirme que les œuvres créées à l’Atelier d’Aquitaine ne résultaient que du seul choix créatif de l’artiste.

Jacques Villeglé
Jacques Villeglé

L’acte de divulgation d’une œuvre d’art constitue assurément la prérogative la plus intime dont bénéficie un auteur sur sa création. Seul celui-ci peut décider de la révéler au public et selon les modalités qu’il aura retenues. Une fois cet acte accompli, l’œuvre sera à jamais attachée au nom de son créateur. Pour autant, l’opération créatrice convoque souvent l’aide d’un ou de plusieurs assistants, dont l’implication peut ébranler la paternité de l’œuvre. Si l’apport personnel déployé atteint un degré tel que l’originalité résulte, en réalité, de choix concertés, alors la qualification d’œuvre de collaboration s’imposera. Mais, les exemples jurisprudentiels d’une reconnaissance a posteriori de la qualité de co-auteur d’un assistant resté dans l’ombre du maître relèvent de l’exception. L’affaire ayant opposé le fils de Richard Guino aux héritiers de Renoir en constitue l’exemple même. Au contraire, les tentatives d’imposer sans succès son nom aux côtés de celui sous lequel l’œuvre est connue de tous sont multiples. Et l’affaire ayant opposé les époux Di Folco à Jacques Villeglé cristallise à cet égard de nombreux ressorts attachés à ce contentieux.

Le tribunal de grande instance ayant rejeté, en 2016, leurs demandes visant à se voir reconnaître une paternité partagée sur plus de 800 tableaux en affiches créés au sein de leur espace mis à disposition de l’artiste entre 1996 et 2011, les époux Di Folco avaient relevé appel. Au-delà de la reconnaissance judiciaire de cette seule qualité, l’enjeu du litige résidait également dans la reconnaissance d’une propriété partagée. Encore fallait-il parvenir à démontrer l’existence d’un « apport personnel dérivant d’une activité créatrice et une participation concertée » entre l’artiste et ses assistants et amis d’alors. Pour les époux Di Folco, si les œuvres avaient été seulement divulguées sous le nom de Villeglé, un tel choix résulterait d’un accord passé avec l’artiste afin de garder « occulte leur qualité de ‘‘nègre artistique’’ ». Pour autant, affirmer n’est pas démontrer. Et les époux échouent, une nouvelle fois, à prouver l’existence d’un véritable apport créatif, alors même que la charge de la preuve pesait à leur encontre.

Ainsi, le découpage des châssis, l’entoilage ou encore le marouflage des œuvres, opérations auxquelles avaient bien participé les époux, ne constituaient que des actes techniques ne relevant pas de la création artistique. Au contraire, la cour confirme que l’étape décisive de la création résidait dans le « cadrage de l’affiche lacérée » réalisé par l’artiste, celui-ci choisissant la partie la plus révélatrice d’une affiche en y apposant des mesures très précises correspondant à la taille finale du tableau. L’acte de divulgation concordait avec la réalité de la création. Et les œuvres dont la copaternité était revendiquée devaient bien être restituées à leur seul auteur.

En revanche, l’analyse de la cour d’appel étonne lorsqu’est abordée la demande en restitution d’œuvres dont la propriété matérielle est commune aux parties au litige. Ici, la décision relève que les parties sont en indivision sur « la mémoire insoluble », constituée de multiples ardoises recouvertes de lettres issues de l’alphabet de l’artiste, et sur deux couvertures de livre, « Le déshonneur des poètes » et « Le petit Livre Rouge ». Selon la cour, celle-ci « ne saurait porter atteinte à leur intégrité en opérant un partage physique et ne peut pas opérer un partage financier faute de tout élément sur leur valeur », alors même qu’il s’agissait là d’une demande de l’artiste, à laquelle le tribunal avait fait droit. « Elle ne peut pas davantage opérer un partage laissant à l’un des copropriétaires le choix d’une des deux œuvres », poursuit la cour.

Face à ce statut quo imposé judiciairement, l’étonnement redouble, lorsque la cour fait droit à la demande d’interdiction imposée aux époux Di Folco de ne pas « divulguer » ces œuvres sans l’accord de l’artiste. Le terme choisi de divulgation est bien inadapté, de même pour le fondement d’une telle interdiction au nom du droit moral dont est investi l’artiste. La divulgation constitue une prérogative spécifique, qui s’épuise une fois l’acte mis discrétionnairement en œuvre, rien d’autre. Et si une présentation tronquée, mutilée, est réalisée, la prérogative attachée au respect dû à l’œuvre doit seule prendre le relai.

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