FRANCE
Autrefois très nombreux et couvrant la France entière, les salons d’antiquaires ont perdu 80 % de leurs effectifs, en raison de coûts trop élevés, d’un renouvellement insuffisant des marchands, de changements d’habitudes d’achat. Ceux qui ont survécu misent sur la qualité.
France. Si, dans les années 1980, les salons d’antiquaires tapissaient la France entière – chaque grande ville en était dotée –, ils sont beaucoup moins nombreux aujourd’hui. « Ils battaient leur plein dans les années 1990, à l’heure où Internet n’existait pas. C’était l’occasion de voir 50 à 100 antiquaires en quelques heures seulement. Mais au début des années 2000, leur nombre a commencé à baisser et aujourd’hui, 80 % d’entre eux ont disparu ! », témoigne Pierre Bourgeois, expert intervenant sur une dizaine de salons. Plus question d’en faire un tous les mois comme il était de rigueur à l’époque. Nîmes, Avignon, Marseille, Limoges, Clermont-Ferrand, Reims, Bourg-en-Bresse (Ain), Toulouse ou encore Bar-le-Duc (Meuse) n’ont plus de salon. Certains ont laissé place à de grandes brocantes, organisées sur deux jours, et bien moins coûteuses à organiser. « Là, il n’y a pas de structure à monter, donc une surface de 30 m2 coûte environ 300 euros », indique l’expert. Antibes, Dijon, Besançon, Colmar, Strasbourg, Lille, Nancy, Biarritz, La Rochelle ou Quimper sont encore debout, gérés soit par des professionnels organisateurs de salons, soit par des parcs d’expositions ou par des associations de marchands.
« Ce sont les coûts des salons qui ont fait que les antiquaires n’ont plus pu les faire. Cela a entraîné une désaffection et donc les organisateurs ont eu du mal à remplir leur salon », estime l’antiquaire Gilles Linossier, qui, il y a une dizaine d’années, participait à plusieurs salons en province avant de se recentrer à Paris. À Dijon, le salon a accueilli une quarantaine d’exposants en 2019, « alors qu’il y a vingt ans nous montions à 70 et on refusait du monde ! », précise l’antiquaire dijonnais Patrick Damidot. Globalement, le prix du mètre carré se situe entre 100 et 300 euros, coût auquel il faut ajouter ceux du transport, des déplacements, du personnel, de la mise en valeur de la marchandise… « On peut vite atteindre 10 000 à 12 000 euros par salon ! », lance Patrick Damidot.
Seuls les parcs d’expositions sont suffisamment solides pour accueillir ce type de manifestation, en proposant des services adaptés. Or, « on les dérange ! Nous n’amenons que 4 000 à 5 000 personnes, ce qui ne rapporte pas assez d’argent… », lance le marchand Rémi Machard, président du SNCAO (Syndicat national du commerce de l’antiquité et de l’occasion), qui ne fait plus que deux salons par an contre cinq à six auparavant. Le salon de Dijon, repris en 2017 par l’association Dij’Antik cofondée par Patrick Damidot, Jérôme Henry et Denis Favier espère, après deux années blanches, se tenir du 26 au 30 mai 2022. « Nous avons du mal à équilibrer les comptes car les prix du parc des expos sont prohibitifs. La location de la salle et le montage et habillage des stands sont les deux postes importants », souligne Patrick Damidot.
Autre raison à ce rétrécissement du secteur, le manque de renouvellement des marchands. « À Lyon, dans les années 1990, il y avait 80 boutiques d’antiquaires ; quand j’ai pris ma retraite en 2015, il n’en restait plus que quatre », se désole Pierre Bourgeois. L’arrivée d’Internet a bien entendu changé la donne. « La jeune génération privilégie ce médium et préfère se placer sur des portails du type Proantic et Anticstore », note l’expert. C’est moins coûteux et moins contraignant, s’accordent à dire les marchands.
Y a-t-il eu en outre changement de goût ? « Je ne pense pas car je remarque qu’il y a toujours un intérêt pour les choses anciennes. C’est davantage un problème de transmission. Il n’y a plus de vraie rencontre avec le public », déplore Rémi Machard. Difficile pourtant de nier un déplacement des goûts vers le design et les arts décoratifs du XXe siècle. « Aussi, les antiquaires spécialisés en mobilier ancien prenaient beaucoup de surface. Mais comme ils sont de moins en moins… », ajoute Geoffray Riondet, antiquaire joaillier, qui participe à plusieurs salons dont celui de Dijon.
Autre souci : la communication. « Elle est soit mauvaise, soit inexistante ou encore hors de prix », se désespère Patrick Damidot.
Les salons qui ont su résister ont ainsi profité de la disparition des autres. Mais pas que. Certains se sont battus et ont su renaître de leurs cendres, comme Besançon, dont la 44e édition s’est tenue mi-novembre. « En 2010, il était en perte de vitesse alors [le salon] Intemporel a pris sa place, en ouvrant la porte à l’art contemporain, mais ça n’a pas marché, raconte Rémi Machard. En 2016, le Parc des expos nous a dit : on perd de l’argent, on arrête tout. “Laissez-nous 72 heures”, a-t-on rétorqué avec trois marchands. Et nous avons réussi à relever le défi en rassemblant suffisamment d’exposants. » Pour Pierre Bourgeois, ceux qui ont survécu sont ceux qui ont pu rester dans les parcs d’exposition et qui comptent peu d’exposants. « Depuis sept ans, le salon déclinait alors nous avons renforcé le comité de pilotage et nous nous sommes recentrés sur la qualité, avec une trentaine de marchands seulement », rapporte Laurent Condamine, commissaire général foires & salons au parc des expositions de Besançon. « De toute façon, il n’y a qu’une cinquantaine de marchands qui peuvent se permettre d’investir dans un salon », affirme Rémi Machard.
Outre les principes élémentaires, à savoir une bonne organisation et une vigilance quant à la qualité de la marchandise proposée, à travers un service d’expertise notamment, la qualité des exposants est primordiale : de bons marchands régionaux, « pas des “itinérants” qui parfois se comportent mal avec la clientèle, laquelle a besoin d’un suivi. Cela donne une mauvaise image du salon », estime Patrick Damidot. Ainsi, pour sa 50e édition, prévue du 16 avril au 2 mai, le salon d’Antibes a décidé d’opérer une sélection plus stricte des marchands. D’autres salons qui battaient de l’aile ont fait le choix de se restructurer, comme Colmar ou Nancy. « Ils ont commencé à se mixer avec un salon de l’habitat et ça marche très bien », observe Pierre Bourgeois.
Enfin, pour qu’un salon soit réussi, au-delà de la qualité de ses services, un éventail élargi de spécialités est nécessaire. « À Dijon, il y a des antiquités mais aussi du design, de la déco, de la brocante… Nous ne devons pas tous avoir la même marchandise », estime Patrick Damidot.
Nullement épargnés par la crise sanitaire, les salons en régions ne comptent pas pour autant baisser les bras.
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La difficile mue des Salons d’antiquaires en régions
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°581 du 21 janvier 2022, avec le titre suivant : La difficile mue des Salons d’antiquaires en régions