Disparition - Galerie

Jean-François Jaeger, le compteur s’est arrêté à 98 ans

Par Henri-François Debailleux · lejournaldesarts.fr

Le 3 janvier 2022 - 540 mots

Il avait repris la galerie de Jeanne Bucher, sa grande tante en 1947. Il vient de décéder quelques jours avant son épouse.

En Afrique on dit que lorsqu’un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle. Ce proverbe attribué tantôt à Amadou Hampâté Bâ, tantôt à Léopold Sedar Senghor pourrait s’appliquer à Jean-François Jaeger. Car avec son décès (du Covid), à l’âge de 98 ans, survenu dimanche 26 décembre 2021 au matin (suivi de celui de sa femme Muriel cinq jours plus tard), c’est à la fois une figure, un patriarche et une mémoire qui disparaissent du quartier de Saint-Germain-des-Prés, à Paris, et plus précisément du 53 rue de Seine, l’adresse de sa galerie. Une exposition intitulée « Matière et mémoire : la demeure du Patriarche » y avait d’ailleurs été organisée il y a pile sept ans pour fêter ses 90 ans et ses 66 années de galeriste. 

Il était né en novembre 1923 à Strasbourg, avait été élevé à Obernai, en Alsace, et ne se destinait pas spécialement à devenir galeriste. C’est sa grande tante, Jeanne Bucher (la sœur de Pierre Bucher son grand-père) qui l’était. A la disparition de cette dernière en 1947, il prend sa relève, à 23 ans. Elle avait ouvert son premier espace en 1925 rue du Cherche Midi, avant de déménager quelques années plus tard, en 1936, dans ce qui devient la fameuse galerie du 9 ter boulevard du Montparnasse, où elle expose Kandinsky, Braque, Picasso, Miró et où elle fait même les premières expositions d’Alberto Giacometti, Nicolas de Staël, Marie-Hélène Vieira da Silva et Arpad Szenes. Rien que cela. 

C’est là et dans cette ambiance que Jean-François Jaeger va apprendre son métier, notamment aux côtés de Roger Bissière, véritable compagnon de route. Il disait d’ailleurs que ce n’était pas un métier mais une « profession de foi » et revendiquait le fait d’apprendre tous les jours. Lorsqu’on lui demandait pourquoi il avait gardé le nom Jeanne Bucher, il répondait : « La galerie était connue, Jaeger non. J’ai tenu à être et à rester modeste. Je ne suis pas une vedette, je suis au service des artistes »

Ses armes faites, il change d’adresse en 1960 pour s’installer donc rue de Seine. Dès lors, c’est là au fond de la cour qu’il passait la plupart de son temps, dans son bureau entouré de livres, de catalogues, d’œuvres de ses artistes fétiches, d’art oriental et d’objets d’arts premiers, domaines qui le passionnaient. Dès l’entrée de la pièce trônait ainsi une ancienne grande figure en fougère arborescente du Vanuatu, celle-là même qui avait fait dire à Giacometti : « C’est cela ce que je veux faire, mais je n’y arrive pas ». L’œuvre figurait d’ailleurs dans l’exposition « Matière et mémoire… » évoquée précédemment, ainsi que tous les artistes que la galerie a exposés (à ceux précités, on peut ajouter Mark Tobey, Jean Dubuffet, Louise Nevelson, Gérard Fromanger, Kunihiko Moriguchi, etc.). 

L’exposition était organisée par Véronique Jaeger, sa fille, qui après avoir travaillé aux côtés de son père et de son frère Frédéric à partir de 2003, ouvrira en 2008 un nouvel espace, la galerie Jeanne Bucher - Jaeger, au 5 rue de Saintonge dans le Marais, qu’elle dirige aujourd’hui avec son deuxième frère Emmanuel, Frédéric ayant suivi un autre chemin en 2010. Histoire de continuer l’aventure.
 

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