ART D’APRÈS GUERRE

Helen Frankenthaler du trait à la couleur

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 7 juin 2017 - 762 mots

La Galerie Gagosian expose la période charnière et forte de l’artiste américaine, entre 1959 et 1962, alors qu’elle passe d’une peinture gestuelle expressionniste à la représentation de champs colorés.

Paris. Il ne doit pas y avoir beaucoup d’artistes, d’une renommée certaine, à n’avoir pas été montrés en France depuis plus de cinquante ans ! Aussi surprenant que cela paraisse, Helen Frankenthaler (1928-2011) n’avait pas bénéficié d’exposition personnelle à Paris depuis 1963, à la Galerie Lawrence. Si l’on a toutefois l’impression de connaître un peu l’artiste, c’est parce que certaines de ses œuvres ont été accrochées, de façon très ponctuelle, à l’occasion par exemple de la Fiac (Foire internationale d’art contemporain) en 1981 sur le stand de la galerie new-yorkaise Knoedler ou dans des manifestations collectives comme à la Royal Academy de Londres fin 2016. L’ensemble ici regroupé, constitué de quatorze peintures et deux dessins, a donc l’allure d’un événement. Mais si cette exposition est la première présentée à Paris par Gagosian, la galerie en a déjà organisé trois dans ses différents espaces aux États-Unis depuis qu’elle travaille avec la Helen Frankenthaler Foundation. La première a eu lieu au printemps 2013 à New York, downtown, avec des œuvres datées de 1950 à 1959, soit l’époque où elle a inventé et mis en place cette technique consistant à diluer de la peinture avec de la térébenthine afin de la rendre plus transparente et légère. La seconde à l’automne 2014, toujours à New York mais uptown, était, elle, concentrée sur deux années de travail, 1962-1963. La troisième, l’automne dernier à Beverly Hills, ratissait nettement plus large avec des œuvres datées de 1962 à 1987 !

Deux séries distinctes
Intitulée « After Abstract Expressionism, 1959-1962 », la sélection parisienne, confiée à John Elderfield, qui fut notamment directeur du département des Peintures et Sculptures au MoMA de New York, entre 2003 et 2008, est inédite. Relativement à ce choix, l’ancien conservateur explique : « D’une part, comme les gens voyagent beaucoup, on ne pouvait pas refaire à Paris ce qu’on avait montré aux Etats-Unis, il fallait exposer quelque chose d’inattendu. D’autre part, il était important de montrer cette période d’Helen Frankenthaler, car il s’agit d’une période charnière essentielle dans le développement de son travail. » De fait, lorsqu’on regarde les toiles de 1959 puis celles de 1961 et 1962, on distingue nettement deux séries de peintures. Dans les premières, l’artiste témoigne encore d’une approche très expressionniste de la toile (d’où le titre de l’exposition), avec des lignes marquées, des traits rageurs, des taches explosives. Certains tableaux montrent même comment, à la toute fin des années 1950, l’abstraction d’Helen Frankenthaler est quelquefois frontalière d’une vague figuration, à l’exemple de certaines formes qui évoquent, dans Madridscape, deux têtes rondes avec des yeux, dans First Creatures (1959) un personnage assis ou, dans ce dessin Hendaye, une colline, le ciel, la mer, un bateau… Les titres sont d’ailleurs explicites.

À côté, on découvre comment, deux ans plus tard, la ligne se calme, l’espace s’épure, les plages de blanc s’étendent parce que laissées brutes, nues de toute peinture. Comment aussi l’utilisation de la couleur en zones plus maîtrisées, plus réfléchies (tout en gardant une belle part de spontanéité dans le geste) annonce sa période suivante, celle qui la verra jouer un rôle important dans la création du mouvement Colorfield Painting. L’exposition montre donc parfaitement d’où l’artiste vient et où elle va, et ce que ces quelques années, révèlent en œuvres d’une belle force.

Loin derrière ses confrères
La cote des œuvres oscille entre environ 150 000 dollars (133 000 euros) pour les dessins, et plus de 3 millions pour les tableaux. Des prix certes élevés mais bien moindres que ceux de ses confrères de la même génération, tels Morris Louis ou Kenneth Noland, piliers du Colorfield. Ils sont encore plus loin des 30 millions de dollars que peuvent atteindre les toiles d’un Clyfford Still ou d’autres grands abstraits américains. À cela plusieurs raisons : Helen Frankenthaler appartient à cette génération d’artistes où les femmes ne sont pas reconnues à l’égal de leurs homologues masculins. Il suffit de penser à Grace Hartigan, Lee Krasner ou Joan Mitchell, –  encore que cette dernière, expatriée en France dès le milieu des années 1950, y sera un peu plus considérée. Ensuite, le fait pour Frankenthaler d’avoir été en couple au début des années 1950 avec le critique Clement Greenberg, puis mariée de 1958 à 1971 à Robert Motherwell, a pu lui faire de l’ombre. Enfin elle a beau figurer dans une liste impressionnante d’institutions et musées américains, elle n’a pas toujours été soutenue par de grands marchands.

HELEN FRANKENTHALER, AFTER ABSTRACT EXPRESSIONISM, 1959-1962

Jusqu’au 16 septembre, galerie Gagosian, 4, rue de Ponthieu, 75008 Paris.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°481 du 9 juin 2017, avec le titre suivant : Helen Frankenthaler du trait à la couleur

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