LE BOURGET
La galerie Gagosian accueille les œuvres monumentales d’un des pères du land art, habituées aux vastes plaines du Nevada, mais plus rares de ce côté de l’Atlantique.
Le Bourget. Il y a un apparent paradoxe à envisager une exposition en galerie de Michael Heizer. De l’artiste américain aujourd’hui âgé de 74 ans, on retient souvent son entrée précoce dans l’histoire de l’art quand, en 1969, à 26 ans, il réalise Double Negative : une entaille dans le rebord d’un relief désertique au Nevada, un repère dans ce que l’on a pris habitude de dénommer Earth Art, un travail hors dimension par déplacement de quelque 244 800 tonnes minérales, et un geste inscrit dans une histoire de la sculpture que l’artiste n’a eu de cesse de prolonger. Car l’œuvre s’est déployée dans une continuité d’enjeux, autour de la notion de sculpture négative, héritière de la brèche ouverte par Brancusi par la prise en compte du volume étendu à la masse du sol, croisée chez Heizer avec la spatialité et l’étendue américaine, la minéralité, la monumentalité, où se conjuguent archaïsme et futurisme, cultures précolombiennes et modernité européenne. Tous traits qui se retrouvent plus encore dans l’œuvre hors de mesure qu’est City, engagée dès 1970 et qui doit ouvrir au public d’ici deux ans : une sculpture-environnement qui s’étend sur plus de deux kilomètres dans un coin désertique du Nevada. On en prendra la mesure par exemple par Google Maps, au sud-est du point « Garden Valley, Nevada ». Mais cette part de l’œuvre ne saurait cacher l’importance de la peinture, qui est à l’origine de la démarche et demeure toujours vive, comme le montre l’exposition de la galerie Gagosian au Bourget. Le parcours dans le vaste espace installe tout d’abord la dimension monumentale de l’œuvre, sensible ici en intérieur, en écho aux pièces publiques en extérieur telle Leviated Mass (2012) au Los Angeles County Museum of Art.
Dans la grande salle, se retrouvent deux pièces apparues dans la même combinaison en 1968 : Slot Mass, composée d’un bloc granitique de 2,40 m de haut, qui semble posé sur deux sortes de rails métalliques qui s’enfoncent dans le sol, dotant d’une sensation dynamique l’ensemble [voir illlustration] ; et Cilia, fosse carrée de quelque six mètres de côté, dont les flancs intérieurs sont hérissés de plaques de métal, à l’image des cils d’un œil très stylisé. Tous contrastes de formes, de matériaux, de situation qui conduisent le spectateur à un arpentage méditatif. Scoria Negative Wall Sculpture (2016), pierre en lévitation dans un cadre en métal inséré dans le mur, prolonge la confrontation matériologique dans une salle latérale, qui se prolonge par une salle d’archives, bienvenue pour prendre la mesure du lien peinture-sculpture. Car sur la galerie à l’étage, s’impose aussi par leurs dimensions (entre 2 m et 2,40m de haut) trois peintures Untitled, conçues dès 1967, et réactivées à divers moments (1972, 1979 et 1982). Des châssis découpés à angle droit associant toile brute et surface dense d’un gris profond composé de latex et de poudre d’aluminium : leur géométrie en fait des architectures d’espace à l’échelle variable, selon le regard. Plus loin, se trouve le remarquable et énigmatique Untitled triptych de 2017, avec son économie visuelle de figures tracées au trait noir sur fond blanc qui reprennent et prolongent les contours sinueux et presque organiques des châssis. L’ensemble de l’exposition, avec sur le parcours ici une lithographie, là un photocollage, propose une traversée d’une œuvre plus souvent documentée que vue de ce côté de l’Atlantique. D’autant qu’il ne se trouve aucune œuvre significative de Heizer en France, et seulement quelques-unes en Allemagne, en Suisse, à Milan et au Kröller-Müller à Rotterdam. La diversité d’écriture de l’artiste se retrouve sur le marché : c’est le grand écart. Les pièces monumentales, comme celles qui sont exposées chez Gagosian, ne serait-ce qu’en termes de production, sont difficilement accessibles et chères, comme les peintures, à proportion de leur histoire, même si beaucoup des toutes premières œuvres parmi les « Shaped canvas » des années 1960 ont disparu : ce qui fait des trois Untitled montrées au Bourget des œuvres rares. Revenu à l’atelier et beaucoup plus présent à New York, Michael Heizer a produit depuis de nouvelles séries de grands formats de tableaux en techniques mixtes et à l’écriture très libre depuis 2015, que la galerie Gagosian a montrées en 2016 dans sa galerie de Beverly Hills. Mais l’on trouve aussi quelques sculptures d’échelle bien plus domestique vers 100 000 euros, des dessins souvent en rapport avec les sculptures dès 1 500 euros pour les plus modestes, voire des planches plus techniques, et bon nombre d’éditions, lithographies, sérigraphies, le plus souvent pour des ventes aux États-Unis, mais aussi en Allemagne, de 3 000 à 15 000 euros.
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Heizer, un poids lourd au Bourget
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°514 du 4 janvier 2019, avec le titre suivant : Heizer, un poids lourd au Bourget