MOAPA VALLEY / ÉTATS-UNIS
La protection d’une œuvre majeure du Land Art a eu raison d’un projet de construction d’un grand parc solaire.
Mormon Mesa est un plateau au sommet d’une montagne au nord-est de Las Vegas (une mesa, « table » en espagnol). En 1969, le jeune artiste Michael Heizer, 26 ans, fait exploser près d'un quart de million de tonnes de roches sur un côté de Mormon Mesa, créant ainsi deux entailles massives dans cette formation rocheuse en forme de table. Chaque entaille mesure 10 mètres de large et 15 mètres de profondeur. L’espace ainsi créé, dénommé Double Negative est devenue une œuvre célèbre du Land Art alors naissant. L'œuvre a été acquise par le Musée d'art contemporain de Los Angeles en 1985.
Il y a quelques années, deux entreprises californiennes dans le domaine de l’énergie ont proposé de construire un parc solaire de 36 km² au sommet de Mormon Mesa. Dévoilé en 2020, ce projet intitulé Battle Born Solar Project aurait été le plus grand parc solaire de États-Unis. Sa capacité de production de 850 mégawatts aurait représenté environ un dixième de la capacité totale du Nevada, suffisamment pour fournir de l'énergie à 500 000 foyers pendant la journée.
Mais toute personne souhaitant visiter Double Negative aurait dû traverser le parc solaire. Les fans de l’œuvre sont alors venus en force s'opposer à Battle Born, rejoignant les défenseurs de l'environnement, les habitants des environs et les groupes amérindiens, qui se retrouvaient sur le fait que le parc solaire allait perturber le milieu naturel.
Face à une opposition publique véhémente, les entreprises à l'origine du parc de Battle Born ont retiré leur demande auprès du Bureau fédéral de gestion des terres en 2021. L'annulation du projet a constitué un revers pour le Nevada, qui a pour objectif de passer à 50 % d'énergies renouvelables d'ici 2030 et qui produit actuellement environ 28 % de son électricité à partir d'énergies renouvelables. Le Nevada satisfait aujourd’hui la plupart de ses besoins énergétiques à l'aide de centrales au gaz naturel ou en important de l'énergie produite ailleurs.
Si Double Negative n'explique pas à lui seul l'échec de ce projet industriel, il cristallise les difficultés auxquelles les pays sont confrontés face à la crise climatique. Aux États-Unis, la loi sur la réduction de l'inflation, signée par le président Biden, prévoit d'importantes incitations financières pour les énergies renouvelables. Mais que se passera-t-il si les procès, les restrictions en matière d'aménagement du territoire et les autres possibilités d'opposition locale rendent impossible la construction des infrastructures nécessaires ?
Pour le Los Angeles Times, qui relate cette histoire, l’abandon du projet solaire est un révélateur des dilemmes auxquels sont confrontées nos sociétés, qui hésitent entre conservatisme et nécessité d’agir, entre respect de l’existant et réponses à nos défis collectifs.
Les défenseurs de Double Negative refusent de voir l’environnement autour de l’œuvre changer, par respect pour son intégrité, ce qui peut se comprendre. Mais l’œuvre elle-même est issue de la destruction du paysage (d’énormes tranchées creusées il y a des dizaines d'années, avant l'adoption de lois environnementales qui l’auraient empêchée). Si on suit la logique de ses défenseurs actuels, Double Negative n’aurait pas pu être créée.
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Dans le Nevada, le dilemme entre Land art et énergie durable
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