Frédéric Castaing, expert en autographes, qui a récemment cédé sa place de président de la Compagnie nationale des experts (CNE) à Judith Schoffel de Fabry, revient sur le rôle que les experts jouent en amont pour préserver les musées et les institutions des faux.
N’importe qui peut s’attribuer sans aucun contrôle le titre d’expert. Dès lors, quelle garantie pour le collectionneur ou pour le conservateur de musée qui se porte acquéreur d’une œuvre ? En France, il existe heureusement des compagnies d’experts. L’expert membre d’une de ces compagnies est sélectionné suivant des critères très précis communs aux principales d’entre elles (CNE, CNES, FNEPSA, CEA, SFEP) : dix ans d’ancienneté, une assurance, deux spécialités au maximum, un casier judiciaire vierge, l’acceptation de règles déontologiques, des compétences certaines. Le label d’une compagnie (système unique au monde) n’est pas une garantie absolue, mais c’est encore ce qu’il y a de mieux aujourd’hui pour sécuriser le marché et rassurer le conservateur de musée, a fortiori avec le développement des ventes sur Internet et la prolifération d’experts autoproclamés.
Cette question prend un relief particulier en France du fait que l’objet qui entre dans les collections publiques devient un trésor national. Pour le citoyen lambda, imaginer qu’il puisse y avoir des faux dans les musées, que l’argent public ait pu servir à l’achat de faux est tout simplement inconcevable. Le musée est légitimement perçu comme un sanctuaire, et chacun de ses trésors comme un bien commun inaliénable. Pourtant, les musées ne sont pas à l’abri des risques. Aujourd’hui, tous les rapports, que ce soit d’Interpol, de l’OCBC ou de l’Unesco, s’accordent pour dire que le faux gangrène le marché de l’art. Des sommes considérables y arrivent, que ce soit pour optimisation fiscale, spéculation ou blanchiment. Les faussaires suivent le mouvement, les musées aussi sont menacés. Autre risque concomitant : la course à l’audience. Pour la plupart des musées désormais, il faut avoir de plus en plus de visiteurs, montrer de plus en plus d’œuvres sensationnelles comme le Salvator Mundi, faire valoir sa marque face à la concurrence. Le risque est que l’efficacité des contrôles en soit affectée, que le niveau de vigilance s’abaisse.
Les rapports entre experts et conservateurs, outre les civilités, épousent les différents modes d’enrichissement des collections publiques. Premier cas de figure, le don. Un collectionneur passe sa vie à rassembler des objets, il y met du temps, de la passion, de l’intelligence. Comment pérenniser l’œuvre de toute une vie sinon en se tournant vers les collections publiques ? L’objet d’art étant de plus en plus considéré uniquement comme un actif financier, cette transmission se fait malheureusement de plus en plus rare. Il n’y a pas là, a priori, d’intervention de l’expert. Deuxième possibilité, la dation. Un particulier règle une partie de ses frais de succession avec une collection. Dans ce cas, il doit préparer un dossier avec l’aide d’un expert avant de s’adresser à la commission des dations qui l’acceptera ou non, à hauteur ou non de l’estimation. Troisième possibilité, un conservateur achète une œuvre à un marchand ou en vente publique. Il le fait sur le fondement d’un travail d’expert alliant rigueur scientifique et exigence de provenance. Dernier cas, l’institution refuse la sortie du territoire d’un objet. Le propriétaire peut s’appuyer sur une expertise doublée d’une estimation pour faire valoir ses droits après passage devant la Commission consultative des trésors nationaux.
Ce que j’aurais eu de meilleur. Les plus beaux objets, un président à l’écoute et des débats sans concession. Cette commission n’a pas pour but d’affirmer ou non l’authenticité des œuvres qui lui sont présentées, puisque ces objets ont été vus au préalable par des experts et examinés par des conservateurs. La commission a pour mission de déterminer si l’œuvre présente un caractère exceptionnel ou constitue un chaînon manquant dans les collections publiques.
Vous pensez à la vente du faux mobilier à Versailles dont l’annonce a provoqué la stupeur dans l’opinion. Une affaire qui pose problème à plus d’un titre, le faussaire étant l’expert reconnu du mobilier XVIIIe et les conservateurs ayant été roulés dans la farine. Comme président de la Compagnie nationale des experts, j’ai eu à traiter cette affaire. Je pense que l’institution a également tiré des leçons de cet épisode catastrophique pour son image.
L’expert en fait part aux conservateurs concernés. Et on peut espérer qu’il soit écouté, ce qui n’a pas toujours été le cas. Que dire de plus ?
Bien sûr. Dans ce cas, il y a confrontation et éventuellement action de la justice. Par ailleurs, l’expert, s’il est membre d’une compagnie, a des comptes à rendre. S’il a délibérément failli aux obligations déontologiques acceptées en adhérant à sa compagnie, il est passible de sanctions pouvant aller jusqu’à l’exclusion. Et quoi de plus précieux pour un professionnel que sa réputation ? Être exclu d’une compagnie d’experts est extrêmement grave. Au cours de mes deux mandats, je n’ai eu à traiter que de rares affaires s’étant soldées par une exclusion.
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Frédéric Castaing : « Les musées ne sont pas à l’abri des risques »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°748 du 1 novembre 2021, avec le titre suivant : Frédéric Castaing : Les musées ne sont pas à l’abri des risques