On doit à ce sculpteur italien des centaines d’œuvres s’inspirant d’artistes de la Renaissance qui ont été vendues comme authentiques à de grands musées et collectionneurs outre-Atlantique.
Inutile de dépasser le maître quand il suffit de l’égaler. Cela pourrait être la devise des faussaires qui rivalisent avec les maîtres du passé et qui se révèlent être parfois de véritables artistes. C’est le cas d’Alceo Dossena (1878-1937) dont le talent de sculpteur fut incomparable pour imiter les chefs-d’œuvre de la Renaissance italienne. Le Musée Mart Rovereto lui consacre une rétrospective « Le faux dans l’art. Alceo Dossena et la sculpture dans la Renaissance italienne » prouvant combien la frontière est ténue entre l’artisan et l’artiste. Cette distinction, récente dans l’histoire de l’art, ne s’applique pas à Alceo Dossena capable aussi bien de reproduire à la perfection un buste antique que de créer des œuvres originales, sans jamais évidemment les signer de son propre nom. « J’ai inventé à la manière des grands maîtres, mais j’ai toujours inventé », aimait-il déclarer pour revendiquer son originalité.
Celle-ci se manifeste très tôt chez ce rejeton d’une famille pauvre de Crémone en Lombardie, qui s’initie en autodidacte au dessin et à la sculpture. Sa passion pour l’art est précoce, tout comme ses dispositions pour l’escroquerie. À l’âge de 12 ans, alors que l’on creuse le système d’égout dans sa ville natale, il façonne une statuette en marbre de la déesse Vénus à laquelle il retire les bras avant de la cacher sur le chantier. La découverte par des ouvriers de ce (faux) trésor archéologique fait sensation. Alceo Dossena s’empresse de révéler la supercherie échafaudée pour ridiculiser le directeur du musée local. Cette imposture est la première d’une longue liste.
Après un apprentissage chez des artisans du marbre, il est prêt pour réaliser des contrefaçons d’une tout autre envergure. En 1916, celui qui fera preuve d’une inventivité remarquable pour reproduire les vieilles patines, place une de ses sculptures d’une Vierge à l’enfant dans un urinoir. Ainsi vieillie, elle est ensuite proposée au patron d’un bar qui la dédaigne. L’objet suscite pourtant l’intérêt d’un client de la taverne, l’antiquaire Alberto Fasoli, persuadé qu’il a été volé dans une église. En découvrant sa véritable origine, il comprend immédiatement les opportunités offertes par les dons d’Alceo Dossena. Avec un collègue, Alfredo Pallesi, il décide de profiter du formidable intérêt des Américains pour l’art italien de la Renaissance. Il a explosé à la fin du XIXe siècle alors que les grandes familles aristocratiques, affrontant de sérieuses difficultés économiques, bradent leur patrimoine. Il n’est pas infini et pour soutenir un marché en pleine expansion et aussi lucratif, le recours aux faussaires devient monnaie courante.
Alceo Dossena devient l’un des plus talentueux faussaires exprimant son art aussi bien avec le marbre, la terre cuite que le bois ou l’albâtre. Il peut compter sur un petit pécule mensuel versé par les deux antiquaires qui lui aménagent un atelier et ont recours au grand marchand Elia Volpi pour vendre sa production outre-Atlantique. Les musées comme les collectionneurs sont ainsi convaincus d’acquérir des œuvres de Simone Martini, Donatello, Mino da Fiesole ou encore d’Andrea del Verrocchio.
Tout concourt au succès de cette vaste arnaque : l’engouement des riches américains, des intermédiaires sur le marché de l’art peu scrupuleux, mais surtout la finesse du travail d’Alceo Dossena qui ne réalise pas des copies d’œuvres connues mais en invente dans le « goût » des maîtres de la Renaissance. Il ne perçoit pourtant que de bien maigres émoluments de la part de ses intermédiaires qui les revendent à plusieurs millions de dollars au Cleveland Museum of Art, au Metropolitan de New York ou encore au Fine Arts de Boston. Pour endormir les éventuels soupçons de leurs clients, les fraudeurs leur racontent avoir retrouvé sur le mont Amiata, un volcan éteint des Appenins, les ruines d’une très ancienne abbaye. L’édifice a été détruit à la fin du XVIIe siècle par un tremblement de terre, mais le bon sort les a heureusement gratifiés des plans. La discrétion la plus absolue est nécessaire pour éviter que l’État italien ne se saisisse de ces incroyables trésors.
Un énorme scandale va pourtant mettre un terme à cette imposture. En 1925, Helen Clay Frick, fille du magnat de l’acier à l’origine de la spectaculaire collection d’art qui porte son nom, commence à avoir des doutes sur l’authenticité de deux sculptures achetées l’année précédente en Italie à Elia Volpi. On finit en effet par découvrir qu’elles ne sont pas de Simone Martini. Les musées et les collectionneurs américains sont en émoi. L’historien de l’art, Harold Woodbury Parsons, qui travaille à l’époque pour le musée de Cleveland, mène l’enquête et retrouve la trace d’Alceo Dossena qui finit par révéler être le véritable auteur de ces fausses œuvres toutes magnifiques soient-elles.
Mais il faudra attendre 1928 pour que la machination soit enfin révélée au grand public dans la presse italienne. Deux procès éclatent qui défrayent la chronique. Voulant se débarrasser d’un témoin gênant, Alberto Fasoli et Alfredo Pallesi accusent Alceo Dossena d’antifascisme et de propos injurieux à l’égard de Benito Mussolini. Ayant réalisé l’ampleur des gains de ses revendeurs sans scrupule qui ne lui octroient que de ridicules compensations, Dossena les poursuit à son tour en justice. Son innocence sera reconnue dans la première affaire tandis que les deux antiquaires ne seront pas condamnés dans la seconde, faute de preuves suffisantes. Alceo Dossena y gagne néanmoins le versement de dommages et intérêts, mais surtout une formidable renommée. Son talent artistique est enfin reconnu et une exposition est même organisée au Metropolitan Museum of Art de New York en 1933. Elle ne rencontre pas le succès escompté. La bulle spéculative autour des œuvres italiennes de la Renaissance a éclaté. Dans la foulée, l’État italien se sépare, aux enchères, de trente-neuf œuvres d’Alceo Dossena tandis que celles présentes dans les collections des musées à l’étranger finissent dans les réserves. Le vrai génie des faussaires meurt dans le dénuement à Rome en 1937.
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Alceo Dossena, le faussaire qui a trompé les musées Américains
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°580 du 7 janvier 2022, avec le titre suivant : Alceo Dossena, le faussaire qui a trompé les musées Américains