BAGNOLET
L’hôtel des ventes parisien relance les ventes courantes à Bagnolet et continue à investir dans le numérique. Une stratégie économique pragmatique.
Paris. Cinq ans après avoir fermé Drouot-Montmartre, l’hôtel des ventes s’apprête à rouvrir dans quelques jours un lieu pour réaliser des ventes courantes, cette fois à Bagnolet, dans la banlieue est de Paris. Il a racheté en novembre 2022 cet entrepôt de 6 000 m² [voir ill.] qui appartenait autrefois aux commissionnaires (appelés les « Savoyards ») avant la liquidation de leur compagnie à la suite de malversations. La société Chenue avait un temps remplacé les « cols rouges » (leur autre nom) jusqu’à ce que la manutention soit internalisée en 2020.
Olivier Lange, le directeur général du groupe Drouot, veut en faire une vaste plate-forme logistique (d’où son nom, « Drouot Logistic ») permettant de stocker les objets adjugés à l’hôtel des ventes, mais aussi de réaliser des ventes courantes de lots qui n’ont pas leur place dans le bâtiment parisien. « C’est une demande des commissaires-priseurs qui souhaitent disposer d’un outil similaire à Drouot-Montmartre pour des ventes non cataloguées avec des produits de vente plus faibles et pour permettre des adjudications directes », explique-t-il.
Drouot est également entré dans le marché très convoité et en pleine restructuration du transport. Depuis cet été, il offre un service de livraison à J + 1 en Ile-de-France grâce à une flotte de trois camions électriques, s’appuyant sur son savoir-faire en matière de manutention et d’emballage d’œuvres d’art. Le DG est convaincu qu’il peut être meilleur que les autres transporteurs et ainsi apporter une qualité de service conforme à l’image qu’il veut donner du groupe. Pour autant, « Drouot Logistic n’a pas vocation à dégager beaucoup de profits dans le cadre de l’activité de manutention, qui reste une prestation attachée au fonctionnement de l’hôtel Drouot dans le cadre des ventes aux enchères », précise Olivier Lange.
Cette diversification ne plaît pas à tout le monde, en particulier à David Nordmann (Ader) qui se présente comme le « premier contributeur au chiffre d’affaires de Drouot ». Le commissaire-priseur doute de la pertinence d’y organiser des ventes : « Les clients vont-ils aller au-delà du périphérique ? » Il est en revanche favorable à l’activité de garde-meuble et de transport « si cette dernière est compétitive ». Mais surtout il craint que l’image de ces ventes courantes « ne tire l’image de Drouot vers le bas ».
Car si Drouot a ressuscité Drouot-Montmartre, il n’est pas pour autant envisagé de rouvrir un « Drouot-Montaigne », cette salle auparavant destinée aux ventes de prestige, fermée en 2012. Drouot a fait son deuil de concurrencer Christie’s et Sotheby’s sur les grandes ventes d’art moderne et contemporain, en particulier l’art de l’après-guerre et contemporain, qui constitue plus de la moitié des ventes publiques dans le monde. Le groupe mise beaucoup sur le « live » et le « online » pour consolider son positionnement de milieu de gamme et dégager une marge. Drouot Digital a réalisé en 2023 un résultat d’exploitation de 2 millions d’euros tout en continuant à investir dans la technologie. Car pour Olivier Lange, l’enjeu principal du numérique est de renforcer la sécurité et la robustesse (les déboires de Christie’s en mai dernier dont le site a été piraté lui donnent ici raison). Il permet aussi d’offrir de nouveaux services comme le paiement direct à la plate-forme ou des algorithmes de recommandation. En l’espèce, sa stratégie – de l’offre à la livraison en passant par l’expérience de l’acheteur – se résume en un modèle, celui d’Amazon.
Drouot continue à faire la course en tête – mais de peu – dans le secteur art (« live » et « online ») face à son concurrent Interenchères, avec un produit d’adjudication de 256 millions d’euros en 2023 contre 237 millions d’euros pour Interenchères. Il revendique 753 maisons de ventes adhérentes à son service de retransmission en « live », en particulier à l’international. Serait-ce le moment pour les deux acteurs de s’associer afin de dissuader les deux mastodontes du secteur (Invaluable, Proxibid) de s’implanter en France ? Le sujet est sensible car Olivier Lange, selon lequel les marques ne doivent pas se mélanger, refuse qu’Interenchères opère à Drouot. Un argument réfuté par David Nordman pour qui « cela fait dix ans qu’[il est] favorable à ce qu’Interenchères soit autorisée à opérer à Drouot, cela ne peut qu’augmenter [la] visibilité [de l’hôtel des ventes]. Drouot Digital est fort et ne doit pas craindre la concurrence ». Mais le DG ne ferme pas la porte : « Un rapprochement avec Interenchères serait envisageable dans le cadre de synergies au profit de nos clients opérateurs. » Ce à quoi Frédéric Lapeyre, le président du directoire d’Interenchères, rétorque : « Très bien, mais commençons par avoir un terrain de jeu égal », sous-entendu : avoir un accès à Drouot.
Ce positionnement de milieu de gamme n’est pas extravagant d’un point de vue économique. La rentabilité de Christie’s et Sotheby’s n’est pas à l’unisson de leurs adjudications en millions de dollars, de leurs records et de leur image glamour. Cela coûte très cher d’organiser des ventes de prestige, surtout quand les vendeurs paient un faible taux de commission et exigent des prix garantis. Et lorsque le marché fléchit, comme c’est le cas depuis le début de l’année, les résultats sont maigrichons. Sotheby’s n’a pu empêcher la fuite sur l’annonce d’une chute de 88 % de son résultat du premier semestre, à 18 millions de dollars (16,3 M€). Drouot a dégagé lui un bénéfice après impôt de 5 millions d’euros en 2023.
Cette stratégie rencontre manifestement l’assentiment des deux fonds d’investissement (Vesper et Chevrillon) qui sont entrés au capital de Drouot l’an dernier à hauteur de 30 % avec la volonté d’y rester longtemps. « Vesper nous aide à réfléchir à nos développements à moyen et long terme et nous accompagne dans nos stratégies de croissance. Ce n’est pas une société d’investissement classique qui va revendre ses parts dans cinq ans », explique Olivier Lange.
À l’instar de Colony Capital, qui a acquis 60 % du capital de la galerie Perrotin en 2023, ou du fonds souverain d’Abou Dhabi ADQ, qui a pris récemment une participation minoritaire dans Sotheby’s, on assiste à une financiarisation croissante du marché de l’art. Or ces financiers ne sont pas des philanthropes et exigent des résultats. Dans un marché de l’art qui reste stable depuis des années et n’offre pas vraiment de fortes perspectives de croissance (les NFT ont fait pschitt !), la rentabilité immédiate est privilégiée à une rentabilité future espérée plus importante. Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras.
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Drouot consolide sa stratégie sur l’entrée et le milieu de gamme
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°639 du 20 septembre 2024, avec le titre suivant : Drouot consolide sa stratégie sur l’entrée et le milieu de gamme