Francis Bacon et Lucian Freud sont les figures tutélaires de l’école figurative de Londres et entraînent à la hausse un marché avide d’œuvres introuvables.
« Les deux artistes britanniques d’après guerre les plus importants sur la scène internationale sont incontestablement Francis Bacon (1909-1982) et Lucian Freud (né en 1922), pose d’emblée Pilar Ordovas, spécialiste au département londonien “Post-War Art” chez Christie’s. Leurs œuvres sont rares et, pour cette raison, le marché est d’autant plus demandeur. »
Les prix pour des toiles de Bacon et Freud ont depuis quelques années dépassé le niveau de 1989, époque marquée par le pic de la spéculation. Aujourd’hui, un tableau important de Bacon frise les 6 millions d’euros. « Bacon a toujours été cher dès les années 1950 », rappelle Grégoire Billault, expert au département d’art contemporain chez Sotheby’s. Son parcours est exemplaire : autodidacte, il se fait remarquer par la galerie Hannover à Londres à la fin des années 1940 avant d’être recruté en 1954 (1) par la prestigieuse Marlborough Gallery de la même ville. Plus qu’une galerie d’art, celle-ci est une véritable multinationale de l’art possédant des antennes aux quatre coins de la planète. Leur collaboration se poursuivra durant toute sa carrière. Son audace et sa force plastique, sa présence dans tous les musées, sa popularité et son actualité impressionnante (une exposition monographique par an dans le monde depuis 1971, date de sa rétrospective événement au Grand Palais, à Paris) ont fait de lui une star.
10 millions de dollars
L’artiste a peu peint, « de l’ordre de dix tableaux par an », précise Grégoire Billault. Il n’y a presque pas d’œuvre sur papier sur le marché (Bacon ne faisait aucune esquisse préliminaire) et encore moins d’estampes. « Le début des années 1970 est une période clé chez le peintre. Son petit ami et modèle, George Dyer, vient de disparaître, ce qui va donner naissance à la série recherchée des Black Triptychs », précise l’expert de Sotheby’s. Issu de cette série, Triptych May-June, 1973, vendu 6,2 millions de dollars (39,6 millions de francs de l’époque) à New York chez Sotheby’s le 2 mai 1989, est resté jusqu’en 2000 le prix record pour l’artiste. « Si la même toile repassait en vente aujourd’hui, il est probable qu’elle atteindrait les 10 millions de dollars [8,2 millions d’euros] », estime la maison de ventes. Ce niveau de prix pour le peintre se pratique déjà lors de transactions privées pour les séries des « Papes », en particulier les huit tableaux historiques réalisés en 1953 qui possèdent plus de force picturale que la série de 1961. Une étude de Pape de 1955 passée en vente publique à New York chez Christie’s en 1989, époque à laquelle il avait fallu débourser 6 millions de dollars pour cette toile (38 millions de francs), n’a pas été détrônée par un autre Pape de 1961 cédé à 2,8 millions de livres sterling (4 millions d’euros) le 5 février 2004 à Londres chez Sotheby’s.
Cote ascendante pour Freud
Lucian Freud, l’autre figure tutélaire de l’école de Londres, reste en dessous de Bacon, autour de 3 millions d’euros, mais jouit d’une cote ascendante. « Le dernier Freud que nous avons vendu, Factory in North London, 1972, adjugé à Londres le 4 février à un collectionneur européen pour 2 millions de livres [2,9 millions d’euros], n’était pas vraiment une œuvre majeure », souligne Pilar Ordovas. « La peinture de Freud est plus calme, plus réfléchie que celle de Bacon, son registre pictural plus diversifié, avance Grégoire Billault. En même temps, son propos est tout aussi intéressant que celui de Bacon, ce qui a été brillamment révélé à l’exposition “Bacon-Freud” de la Fondation Maeght à Saint-Paul de Vence en 1995. »
Les prix pour Freud sont à analyser avec précaution, d’une part parce que son marché est plus récent, de l’autre parce qu’aucun grand tableau n’est encore passé en ventes publiques. « Freud est rarissime aux enchères, confirme Pilar Ordovas. Sa production est encore plus faible que celle de Bacon (il lui fallait en moyenne six mois pour peindre une toile) et ses collectionneurs se séparent encore moins des œuvres acquises. Ses prix en galerie sont beaucoup plus hauts que ne laissent supposer les ventes publiques auxquelles échappent les chefs-d’œuvre . »
Bacon, Freud et… Auerbach
Avec une production réduite (environ 600 tableaux pour Bacon dont un tiers conservé dans des institutions publiques), des collectionneurs partout dans le monde dont une concentration en Angleterre, France et Italie, ainsi que de gros mécènes comme la famille Sainsbury, Bacon et Freud sont les deux têtes de file de l’école de Londres. Il existe en revanche un fossé avec les quatre autres artistes de cette école. Selon Grégoire Billault, « Auerbach, Kossof, Kitaj et Andrews sont des artistes intéressants faisant partie d’un groupe qui a développé un vrai langage pictural. Entre eux et le duo Bacon-Freud, il y a le même rapport de prix qu’entre Indiana et Wesselmann comparés aux maîtres du pop art Warhol et Lichtenstein. Leur marché est plutôt local, c’est-à-dire les amateurs anglais, sauf peut-être pour Frank Auerbach qui a un véritable potentiel. » Trois tableaux d’Auerbach ont été présentés en ventes publiques en juin 2003 à Londres chez Sotheby’s et Christie’s : adjugés dans une fourchette de prix allant de 173 250 à 397 600 livres (de 242 752 à 557 100 euros), ils font partie du palmarès des dix meilleures enchères pour l’artiste. Leon Kossof, Ronald Kitaj et Michael Andrews ont une audience plus limitée et des prix moins soutenus. « Le marché pour Kitaj se restreint à la peinture de ses débuts, soit les années 1960. Les prix déclinent sensiblement pour ses œuvres plus tardives, un phénomène qui ne touche pas Bacon et Freud », relève Pilar Ordovas. Les six artistes figuratifs de l’école de Londres sont unis par leur amitié mutuelle. « Ils ont toujours été un groupe très soudé, insiste Pilar Ordovas. De ce fait, il semble que les collectionneurs les ont toujours suivis de près tous les six. »
(1) année où il représente la Grande-Bretagne à la Biennale de Venise.
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Bacon et Freud wanted
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°190 du 2 avril 2004, avec le titre suivant : Bacon et Freud wanted