Votre galerie quittera en juillet la rue du Chevaleret pour un nouvel espace situé au 19, rue Saintonge, dans le Marais (1). D’autres enseignes du 13e arrondissement songent, elles aussi, à déménager. La mayonnaise n’a-t-elle pas pris dans ce quartier ?
La mayonnaise a largement pris. Mais, bien que j’aie la plus grande galerie du quartier, j’ai besoin de plus d’espace pour suivre le rythme très intense de quatre à cinq foires annuelles, une dizaine d’expositions et pour m’occuper d’une trentaine d’artistes. La superficie de 400 m2 rue Saintonge représente le double de celle de ma galerie actuelle. C’est un problème pratique qui a provoqué le départ d’Emmanuel Perrotin puis le mien aujourd’hui. S’il y avait eu des espaces plus grands dans le 13e, beaucoup de galeries du Marais nous auraient rejoints voilà six à sept ans. Malheureusement, il n’y a pas de possibilité d’expansion. La programmation du 13e reste bonne, mais l’effet de nouveauté s’est estompé. Néanmoins, tant qu’il restera un noyau de cinq à six galeries, le quartier vaudra le détour.
Ange Leccia, que vous exposez actuellement, appartient à une catégorie d’artistes que le marché ne capte pas aisément. Comment est-il perçu par les collectionneurs français et étrangers ?
Ange est un artiste très libre, difficile à formater. Mais, pour ceux qui aiment la vidéo, il est sans doute le meilleur vidéaste français de sa génération. Il est vrai que l’art vidéo n’est pas ce qu’il y a de plus facile à vendre. Ce médium n’a pas l’immédiateté de la photo. La question de la durée, du temps passé devant l’œuvre, pose un problème délicat au marché. Ceci étant dit, à l’Armory Show, à New York en 2005, j’ai vendu la vidéo de Leccia baptisée Brighton (2005) à deux collectionneurs new-yorkais. L’année précédente, j’avais cédé La Mer (2001) à un autre Américain. Lorsqu’ils ont un coup de foudre, les Américains achètent facilement. Pour eux, une œuvre à 30 000 euros n’est pas chère, ils se font plaisir. Leccia est aussi suivi par les collectionneurs français. Depuis trois ans, les prix de ses vidéos sont passés de 20 000 à 30 000 euros et ceux de ses photos de 8 000 à 12 000 euros. C’est une progression normale, car il produit peu et il existe une demande pour son travail.
Votre liste compte des pointures internationales comme James Turrell ou Joseph Kosuth, et des plus jeunes créateurs très en vogue comme Anselm Reyle et Mark Handforth. Comment, en tant que galerie française, réussissez-vous à attirer et surtout à garder les artistes étrangers ?
Un artiste comme Turrell est attaché à ce pays, notamment parce que son père est d’origine française. Il a toujours été très soutenu par la critique hexagonale, dès 1990. Kosuth aime aussi exposer ici, car, dans les années 1965-1970, c’est Paris qui l’a le plus soutenu d’un point de vue critique. Concernant les jeunes artistes, j’ai établi des relations avec eux au début de leur émergence, en 1991 pour Ugo Rondinone, depuis trois ans pour Anselm Reyle et Mark Handforth. Ils n’étaient alors pas dans beaucoup de galeries. Ils aimaient sans doute la confrontation avec une famille d’artistes comme Turrell, John McCracken ou Kosuth. Il existe évidemment une pression de la concurrence, laquelle est normale étant donné les enjeux. Une galerie qui emploie cinquante personnes doit rentrer beaucoup d’œuvres. Mais les artistes avec lesquels on jouit d’une relation étroite envoient les bonnes pièces. De toute façon, pour les plus jeunes, on ne peut pas parler de mauvaise pièce, car il n’y a pas d’usure ou de répétition au stade de leur carrière. Au fond, ce sont les œuvres fondatrices de leur travail.
Inversement, pourquoi exposez-vous peu d’artistes français ?
D’un point de vue humain, c’est avec Ange que j’ai le plus d’atomes crochus. J’aime beaucoup Serge Comte et Rebecca Bournigault, mais ils ne se mettent pas dans une dynamique d’exposition. Je n’arrive pas à montrer ce que je veux, quand je veux, c’est-à-dire au bon moment, stratégique. Leur attitude est défendable, mais ils ne sont pas dans l’arène. Ils préfèrent fonctionner à leur rythme et il faut les juger sur un très long terme. Peut-être ont-ils raison. Mais les collectionneurs éprouvent aujourd’hui un désir incroyable et un besoin de l’assouvir. Du coup, les artistes doivent avoir une puissance de travail, de création et une envie de montrer leurs œuvres. Nous avons besoin d’artistes musclés car le marché est musclé.
Quels sont les nouveaux artistes que vous comptez intégrer dans votre galerie et, à plus long terme, quels sont vos projets ?
J’aurai deux nouveaux peintres en 2007, dont le Polonais Zbigniew Rogalski. J’ai aussi l’intention d’ouvrir d’ici à un an un nouveau lieu en Europe.
(1) Ugo Rondinone inaugurera ce nouvel espace, avec une exposition du 9 septembre au 10 octobre.
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Almine Rech, galeriste d’art contemporain
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°237 du 12 mai 2006, avec le titre suivant : Almine Rech, galeriste d’art contemporain