Sept professionnels de la mise en espace racontent leurs fonctions et parcours, et tentent de définir les spécifités de leur métier.
Raymond Sarti / La Fabrique Anamorphique
Concepteur de la scénographie de l’exposition inaugurale de Marseille 2013 dans le bâtiment J1 du Port autonome, consacrée aux Voyage d’Ulysse. « Après une formation de graveur et d’orfèvre, je me suis tourné vers le design, puis le théâtre où j’ai travaillé sur ma première exposition, avec Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff à la Villette. J’aborde l’écriture d’une scénographie d’exposition comme celle d’un texte de théâtre. Il s’agit de raconter une histoire, de mettre en scène la dramaturgie de l’espace, ce qui ne signifie pas forcément produire des choses spectaculaires. Il faut faire résonner les œuvres entre elles, les rythmer, les donner à voir. Une exposition est un chemin de la connaissance, une levée de rideau sur le sujet abordé. Les expositions conçues par des architectes sont différentes de celles conçues par des gens du spectacle. Il ne s’agit pas uniquement d’une question d’esthétique mais d’une autre manière d’envisager le sujet. Les expositions de designers sont encore différentes, la forme y est souvent très prégnante.Le travail mené avec le commissaire est important, comme avec un dramaturge, c’est une histoire de dialogue et d’allers-retours pour trouver la bonne entrée, celle qui permettra de dépasser l’idée simple de la très belle présentation d’objets. «Ulysse» sera une exposition de fiction qui racontera l’histoire de son voyage. Les objets n’y seront pas sacralisés, mais seront pris pour ce qu’ils disent. »
Jérôme Habersetzer / architecte muséographe indépendant
Il a conçu les scénographies de l’exposition « Nicolas de Leyde » à Strasbourg (2012) après « Le Bain et le Miroir » (2009) au Musée de Cluny à Paris.« Architecte de formation, j’ai toujours eu une production plastique et une passion pour les musées. J’ai créé mes premières scénographies à Strasbourg. C’était en 1986, avec l’exposition « Jean Arp » qui est ensuite venue à Paris, au Musée d’art moderne de la Ville, pour lequel j’ai ensuite conçu plusieurs projets. La muséographie est un travail du détail, un travail qui porte autant sur le placement des œuvres que sur la mise en espace. Pour ma part, je n’aime pas faire de la muséographie du plein, je ne réponds pas à ce type de projets. Idem pour des projets laissant place à de nombreuses manipulations pour les enfants car ce sont des choses très techniques. Les scénographes de théâtre travaillent pour des spectateurs assis, ce qui est très différent, alors que nous travaillons pour un public qui se déplace. Il ne s’agit donc pas tout à fait de la même manière d’appréhender le sujet. Néanmoins, les scénographes de théâtre sont souvent considérés comme des artistes et là dessus je suis d’accord ! En France, nous sommes souvent pris comme de simples prestataires de service contrairement aux États-Unis, où le travail se fait en étroite collaboration avec les conservateurs. »
Reza Azard / Atelier Projectiles
L’atelier d’architecture a conçu notamment l’exposition « Dogon » (2011) et « Le Siècle du Jazz » (2009) au Musée du quai Branly. « La scénographie a plutôt intérêt à rester un travail d’espace, ce qui n’a rien à voir avec un travail lié au théâtre. C’est un travail spatial. Pour nous, il faut rester dans une logique de paysage intérieur, pas de récit, même s’il existe aujourd’hui des interférences entre ces deux mondes. Chaque parti pris a d’ailleurs ses avantages et ses inconvénients. Les architectes portent une vision plus globale mais, par rapport aux autres projets, ils doivent s’adapter tant à une différence d’échelle que de matière, celle de l’histoire liée à la matière exposée, et non des usages propres à l’architecture. Il s’agit donc davantage d’une différence de culture, liée aussi à l’histoire de la scénographie. Dans les années 1950-1960, les architectes concevaient des scénographies très épurées. Puis la mode de créer de l’émotion est arrivée dans les musées. L’architecture n’y suffisait plus, il fallait aller chercher autre chose. Nous savons que certains musées ne nous feront probablement jamais travailler. Les institutions mènent des politiques spécifiques et contrôlent leur identité visuelle. Or, la scénographie est aussi une manière de communiquer. Notre position est assez radicale. L’exposition inaugurale du Musée d’art de São Paulo, en 1968, conçue par Lina Bo Bardi, pourrait constituer pour nous une référence : les tableaux étaient accrochés dans des cimaises de verres fichées dans des blocs de béton. C’est la manière dont les architectes de l’époque concevaient les expositions. »
Marie-Laure Mehl / Atelier Mehl’usine
Spécialisée dans la conception de centres d’interprétations, elle travaille actuellement sur le projet d’un grand Herbier pour le Muséum national d’Histoire naturelle. « Ma formation d’architecte me sert beaucoup pour construire des choses qui tiennent debout ! Cela me permet d’intégrer au projet le lieu qu’on doit investir, et ce de manière concrète. Le métier de scénographe est un travail avant tout sur le contenu, le sens. Le design donne du beau, la scénographie du sens. Ma réflexion se nourrit des œuvres, du discours, du message à porter, puis vient le rigoureux travail de la mise en forme, du contenant à manipuler dans un espace défini. La scénographie n’existe que par les messages et objets qu’elle met en valeur. C’est avant tout un travail de médiation. Il faut interpeller le visiteur, lui donner à découvrir pour qu’il soit acteur de sa visite et qu’il ait du plaisir. Pour cela, il faut alterner les supports (ambiances sonores, auditives, visuelles, lumières, articulations des couleurs, passages marqués, dispositifs multimédias), capter le regard du visiteur, sans le fatiguer. Dans chaque étape de sa déambulation, il doit découvrir des choses. Personnellement, j’aime les scénographies très colorées avec beaucoup de dispositifs pour les enfants. On ne peut plus faire un musée sans penser aux publics de demain. Le scénographe s’adresse avant tout au grand public, il ne s’agit pas de créer une encyclopédie ouverte. C’est un métier qui se doit d’être ludique avec cette notion essentielle de plaisir. Plus les dispositifs sont discrets, plus la scénographie fonctionne. Le support doit être le plus simple possible. La scénographie ne s’improvise pas. Elle se construit. »
Pascal Payeur / Atelier de scénographie
Son atelier de scénographie a conçu notamment le parcours de la Cité nationale de l’Histoire de l’Immigration (CNHI) à Paris. « J’ai une formation de plasticien. Après un passage aux Arts déco, j’ai débuté dans le cinéma, comme assistant décorateur. Je suis venu par hasard à la scénographie d’exposition, à la Cité des sciences. Le lieu était alors l’une des rares institutions ouvertes à d’autres formes de scénographie, à des professionnels plutôt liés au spectacle et habitués à manier des médias plus vivants, suivant en cela les expériences nord-américaines et anglo-saxonnes. En vingt ans, nous avons conçu de nombreux projets. La distinction principale entre la scénographie et la décoration c’est la relation qui est établie avec le contenu. Sans contenu, il n’y a pas de scénographie. Toutes les opérations qui se passent mal sont celles qui manquent d’un vrai regard. Dans une exposition, contrairement au théâtre, les formes de médiation constituent l’ossature de la scénographie. La transmission passe par des dispositifs qui permettent au public d’entrer au contact avec certaines réalités. Une exposition dans laquelle la scénographie est visuellement très parlante pour recréer une atmosphère ne sert pas forcément davantage le propos. Elle doit rester un moyen de transmettre quelque chose. En revanche, certaines expositions sacralisant l’objet ne relèvent pas forcément de la scénographie mais d’un très bon travail de régisseur, ce qui n’enlève pas forcément à leur pertinence. En revanche, revendiquer une approche de scénographie d’architecte, comme l’avait fait une exposition au Pavillon de l’Arsenal, me semble relever d’un réflexe corporatiste. La scénographie est plus une forme d’activité qu’une véritable discipline. S’il est vrai qu’inscrire un bâtiment dans la ville relève d’une démarche très différente, j’ai des confrères architectes qui ont une approche très littéraire de la scénographie. D’une manière générale, une architecture qui cherche trop à faire image se trompe. C’est la même chose pour la scénographie. »
Loretta Gaïtis / architecte scénographe indépendant
Après les expositions « Manet » et « Gérôme » au Musée d’Orsay, elle vient de réaliser la scénographie de « Tours 1500 » au Musée des beaux-arts de Tours. « Quand on est scénographe, il faut savoir se mettre au service du commissaire d’exposition que l’on accompagne pour créer, dans la mesure du possible, un discours poétique. C’est un équilibre à trouver entre les différentes composantes d’un projet : le lieu, les œuvres et le propos scientifique. Il faut pouvoir en tirer une ligne forte, savoir faire dialoguer les œuvres, les mettre en vibration et souligner le propos du commissaire, la manière dont il souhaite s’adresser au public. Le conservateur peut d’ailleurs vouloir modifier notre projet et, alors, un autre équilibre se crée. Dans ce métier, le rapport à l’architecture est prédominant : il faut savoir faire avec la complexité du lieu pour mettre en scène les œuvres. Certains scénographes cherchent à cacher le lieu dans lequel ils travaillent malgré tout : c’est une erreur à mon sens. Les architectes de formation ont conscience de cette réalité et l’utilisent ; ils ne la nient pas comme si elle était inexistante. La structure peut influencer le parti scénographique parfois à son insu, de manière inconsciente. Car il existe une part réelle de mystère dans la scénographie. Quand je m’occupe d’une exposition de beaux-arts, je sais que le visiteur n’accorde pas d’importance à la scénographie, il vient voir une œuvre. Pourtant grâce à elle, il a une vision globale du sujet, il ressent un esprit général. Parallèlement aux aspects techniques, il y a une part de notre métier inexplicable, une partie créative liée à chaque scénographe. Chacun de nous apporte quelque chose de différent, d’unique. Notre métier consiste à créer du lien, à magnifier le propos ; comme une main invisible qui accompagne le visiteur sans que le travail accompli ne se voie forcément. Le visiteur peut ne pas remarquer la scénographie, mais la ressentir. Ressentir un bien être n’implique pas toujours de mettre des mots dessus pour savoir d’où il vient. »
François Payet / Agence Métaphores
Auteur du parcours permanent du château des ducs de Bretagne à Nantes, de l’exposition « Moscou : splendeurs des Romanov » à Monaco (2009) ou de « Robert Crumb » actuellement au Musée d’art moderne de Paris. « Architecte de formation, j’ai commencé à travailler dans les années 1990 dans l’agence d’architecture d’Henri Gaudin. Puis j’ai rejoint François Confino, connu pour Cités-Cinés (exposition itinérante, 1987-1990), où j’ai appris la scénographie du spectacle, avec une réflexion autour du cinéma et un aménagement fait de décors qui plongent le visiteur dans un univers immersif. Je me suis ensuite associé à Jean-François Bodin, à qui l’on doit notamment les nouveaux espaces du Centre Pompidou rénovés en 2000. C’est avec lui que je me suis mis à travailler la scénographie par rapport à la muséographie. Le médium est ici conçu autour et pour les œuvres ; l’objet détermine le contenu. Quand je me suis mis à mon compte, j’ai fait la synthèse de ces différentes approches pour nourrir une autre forme de réflexion. Le scénographe doit se servir de tous les médiums, de nombreux dispositifs, pour diffuser du contenu. Il est très difficile aujourd’hui de vivre exclusivement de ce métier et quasiment tous les scénographes doivent multiplier les projets. L’ouverture au privé est une solution qui offre la possibilité d’expérimenter des choses. Pour ma part, j’ai travaillé pendant plusieurs années pour le rendez-vous Toyota, où j’ai développé une réflexion à partir de la philosophie de cette société autour de l’écologie et la voiture du futur. C’est une autre façon de percevoir le métier. Cela permet d’essayer de nouveaux dispositifs qui, ensuite, pourront être adaptés au musée. Une scénographie est réussie quand on a l’intelligence de hiérarchiser ce qu’on veut dire. Il faut savoir s’adapter. Pour l’exposition sur Robert Crumb, nous avons beaucoup étudié son œuvre et réalisé que ce chantre des années 1970 est en fait un homme fasciné par les années 1920-1930. Nous avons joué son jeu et aussi – c’est une des clefs de la réussite d’un projet – travaillé en étroite relation avec le commissaire pour être le plus juste possible. »
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Paroles de scénographes
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°368 du 27 avril 2012, avec le titre suivant : Paroles de scénographes