La chute du mécénat a pesé sur les acquisitions prestigieuses. Qui ne bénéficient qu’aux grands musées, au détriment des musées régionaux.
Peu de ventes de prestige procurant l’occasion de préemptions importantes. Des budgets en baisse. Un mécénat culturel en net repli. En matière d’enrichissement des collections publiques, l’année 2010 n’aura pas été particulièrement éclatante. Non que les musées n’aient acquis des œuvres, mais peu d’opérations d’envergure ont pu aboutir. Un indice ne trompe pas : la liste des trésors nationaux (TN) et œuvres d’intérêt patrimonial majeur (OIPM), des pièces en attente d’une offre d’achat de la part d’une institution publique, ne cesse de s’allonger (1). Pire, quelques refus de certificat d’exportation sont arrivés à échéance sans qu’une acquisition n’ait pu être concrétisée – ils sont valables trente mois. Trop chers pour les musées français, un Portrait d’homme inédit de Frans Hals, découvert en 2008 sur le marché de l’art parisien, et deux esquisses de la main de Michel-Ange risquent désormais de s’envoler hors de l’Hexagone.
En 2010, seules quatre œuvres de ce type (un trésor national et trois OIPM), ont ainsi pu être achetées. Le Musée du Louvre a toutefois dû se résoudre à prélever de l’argent sur son fonds de roulement pour éviter la vente à l’étranger d’une grande tapisserie royale du XVe siècle, d’une valeur de 5,6 millions d’euros, pourtant classée « trésor national » mais n’ayant séduit aucune entreprise mécène. L’acquisition, toujours par le Musée du Louvre, des Trois Grâces, une petite huile sur bois peinte en 1531 par Lucas Cranach l’Ancien, a requis une grande imagination afin de croiser les financements.
Ceux-ci devaient être recueillis avant le 31 janvier 2011, date d’expiration du refus de certificat d’exportation. Le musée n’avait réuni que 2 millions d’euros via le mécénat d’entreprise. Il lui en manquait un pour atteindre les 4 millions demandés par le vendeur. Un appel à souscription, largement relayé dans la presse, a permis de mobiliser plus de 7 000 donateurs et de boucler l’opération, la moyenne d’un don individuel s’élevant à 150 euros. Si de nombreux musées pratiquent la souscription, la dernière lancée par le Louvre remontait à… 1988, pour l’achat d’un tableau de Georges de La Tour. Les conditions de cette acquisition autorisent aussi un constat : seuls les grands établissements parisiens, le Louvre en tête, semblent aujourd’hui en mesure de s’offrir des œuvres d’une telle importance. Quitte parfois à servir d’intermédiaire, comme ce fut le cas en août 2010 pour l’achat des Funérailles juives d’Alessandro Magnasco (vers 1730, huile sur toile). Le Louvre a collecté la somme auprès de ses mécènes et versé les 425 000 euros demandés pour le paiement de ce tableau, désormais exposé au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme, à Paris.
Trésors inaccessibles
Le montant global des acquisitions des musées augmentant en valeur chaque année – du fait de l’inflation –, il n’est guère surprenant de voir la part des grands établissements dépasser largement les deux tiers de ce montant. Depuis 2002, moins d’une dizaine d’acquisitions de trésors nationaux ou d’OIPM (sur un total de 51 opérations) l’ont ainsi été au bénéfice de musées régionaux. L’achat, en mai 2010, de la Nymphe à la coquille dite « Aphrodite de sainte Colombe » (marbre, IIe ou IIIe siècle après Jésus-Christ) pour le Musée gallo-romain de Saint-Romain-en-Gal (500 000 euros de mécénat sur un total de 1,05 million d’euros) fait donc figure d’exception. Seuls quelques grands musées territoriaux (Lyon, Montpellier, Rouen) peuvent se targuer d’un budget avoisinant – les bonnes années – le demi-million d’euros. Pour la plupart d’entre eux, avec moins de 100 000 euros par an, les trésors nationaux restent du domaine de l’inaccessible. Dès lors, en l’absence de sociétés d’amis, qui génèrent tous les ans des dons en numéraire ou des dons manuels, et sans l’entregent de leurs conservateurs, bon nombre d’établissements verraient le compteur de leurs acquisitions rester au point mort.
Dans ce contexte de baisse des budgets et alors que le mécénat s’essouffle, une redéfinition de la politique d’acquisition ne serait-elle pas envisageable ? Un temps, la Rue de Valois a plaidé pour une « rebudgétisation » de la dépense fiscale accordée pour l’acquisition de trésors nationaux et OIPM. Depuis 2002, les 51 opérations financées par ce biais ont atteint un montant total de 137 863 087 euros. En moyenne, il manquerait donc tous les ans près de 15 millions d’euros aux musées pour leurs acquisitions, venant s’ajouter aux 19 millions inscrits bon an mal an sur le budget du ministère. Sachant que 90 % de cette somme correspond à une dépense fiscale, l’effort ne serait pas si substantiel pour l’État (2). Mais cette idée aurait suscité l’hostilité des responsables des grands établissements, ralliant à leur cause le ministère de la Culture. Pourquoi ? Les raisons sont multiples. Car, ainsi que le souligne le récent rapport de la Cour des comptes (3), les grands musées jouissent en matière d’acquisitions, comme dans d’autres domaines, d’une grande liberté, liée à leur autonomie.
Déséquilibre
Depuis 2004, le système mutualiste, inventé en 1895 avec la création de la Réunion des musées nationaux (RMN), ne concerne plus que les petits musées nationaux – les musées dits « services à compétence nationale ». Les grands musées, bénéficiant du statut d’établissement public, ont quant à eux une compétence directe en la matière. Avec une règle : chaque année, 20 % du produit annuel de leur droit d’entrée aux collections permanentes doit être affecté aux acquisitions (4). Mais la Cour relève que de nombreux musées s’affranchissent déjà de cette règle pour constituer un fonds de roulement utilisable sur plusieurs années, en fonction des opportunités. Une stratégie logique, identique à celle mise en place, souvent par pragmatisme, par nombre de musées territoriaux faiblement dotés. Pour autant, certaines pratiques ont moins été du goût de la Cour, comme celle qui a consisté à oublier d’inclure dans le calcul du budget de leurs acquisitions la compensation de la gratuité d’entrée au musée pour les jeunes, somme reversée par le ministère de la Culture (soit, pour le Louvre, 3,8 millions en 2010 qui n’ont pas été affectés à ses acquisitions).
Toujours d’après la Cour des comptes, l’inspection générale des Finances aurait plaidé, en 2001, en faveur d’une subvention d’acquisition versée par le ministère plutôt que de l’adoption de la règle des 20 %. Cette solution aurait permis d’assurer une meilleure péréquation des achats entre établissements, mais aussi d’afficher des priorités nationales. Donc de permettre un rééquilibrage et de mener une vraie politique nationale en la matière. Dix ans plus tard, l’écart s’est bel et bien creusé entre les musées. Une fois n’est pas coutume, Bercy peut parfois avoir une certaine clairvoyance en matière de politique muséale.
(1) On y trouve ainsi, pêle-mêle, une grande bouteille en verre d’époque gallo-romaine ; une commode en sarcophage attribuée à Gilles-Marie Oppenordt (vers 1690-1700) ; deux pleurants du tombeau du duc de Berry ; six panneaux peints par Le Sueur provenant de l’hôtel Lambert ; une Piéta par Jean Malouel ; un microscope optique d’époque Régence ; deux pièces de surtout de table du service Orléans-Penthièvre (1756-57) ; un linceul égyptien ; un meuble de Johan Christian Neuber en bronze doré, pierres dures et porcelaine de Saxe ; Le Grand Duc de Friedrich ayant appartenu à David d’Angers ; une chaise longue de Ruhlmann ; des boiseries de Jean Dunand ; un Fra Angelico ou encore des archives de Turgot…
(2) La déduction fiscale peut n’être que de 40 % si l’entreprise achète l’œuvre pour son propre compte, en s’engageant à l’exposer dans un musée de France pendant dix ans et à ne pas la vendre durant cette période. Mais les entreprises lui préfèrent l’acquisition pour le compte d’un musée contre une défiscalisation de 90 % de la somme.
(3) « Les musées nationaux après une décennie de transformations (2000-2010) », rapport public thématique de la Cour des comptes, mars 2011.
(4) Seuls quelques-uns échappent à cette règle : Versailles, compte tenu du caractère spécifique de ses collections ; mais aussi le Musée national d’art moderne, qui se voit attribuer une subvention (2,58 millions d’euros en 2010) ; le Musée Guimet, dont les recettes sont trop faibles (qui perçoit également une subvention de 1 million d’euros). Un même problème se pose avec les derniers-nés des établissements publics : Fontainebleau et bientôt le Musée Picasso.
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Le pouvoir d’achat a baissé
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°348 du 27 mai 2011, avec le titre suivant : Le pouvoir d’achat a baissé