Si les dispositifs fiscaux sont devenus indispensables pour enrichir les collections, ils restent encore fragiles.
Un autoportrait de 1986 d’Andy Warhol vendu au mois de mai chez Sotheby’s pour 32,5 millions de dollars (22,6 millions d’euros), soit plus de dix années de budget d’acquisition du Musée national d’art moderne (Mnam) ! Chacun pourra apprécier librement le grand écart existant aujourd’hui entre quelques records du marché de l’art et les budgets d’acquisition des musées français. « Bien sûr que les musées français n’ont plus les moyens d’acquérir ce type d’œuvres, hors procédures spéciales ou crédits exceptionnels », confirme Serge Lemoine, ancien président du Musée d’Orsay devenu aujourd’hui conseiller scientifique et culturel de la maison de ventes Artcurial. Procédures spéciales, c’est-à-dire recours au Fonds du patrimoine – une enveloppe distribuée au compte-gouttes par le ministère de la Culture – ou, pour les musées territoriaux, aux Fonds régionaux d’acquisition pour les musées. Mais surtout au mécénat. Depuis maintenant près de dix ans, la France s’est dotée d’un système fiscal très incitatif en faveur de l’acquisition via des entreprises d’œuvres classées trésor national. Non sans une certaine hypocrisie, la dépense fiscale représentant 90 % de la somme déboursée par les mécènes pour ces achats.
Il n’empêche. Le dispositif ne possède guère d’équivalent et vient compléter le système de la dation, instauré il y a plus de quarante ans – et copié à l’étranger. La dation permet de s’acquitter d’une dette fiscale (succession, impôt de solidarité sur la fortune) via le don d’œuvres d’art estimées au prix du marché. Si elle est peu médiatisée – volonté de discrétion des offreurs oblige –, elle a produit de grands effets : dation Picasso à l’origine de l’ouverture du musée qui porte son nom, à Paris ; entrée de L’Astronome de Vermeer au Louvre, mais aussi du Déjeuner sur l’herbe de Monet et de L’Origine du monde de Courbet au Musée d’Orsay. En quatre décennies, la valeur libératoire des œuvres, ainsi entrées dans les collections publiques, a été estimée à 809 millions d’euros. Soit un enrichissement plus que significatif que le ministère de la Culture aurait souhaité accentuer en militant pour l’extension du dispositif au paiement de l’impôt sur le revenu. Proposée en 2009, cette mesure est restée sans suite.
Lenteur des procédures
Une ombre est par ailleurs récemment venue obscurcir le tableau avec l’échec, début 2011, de la dation de la collection d’art contemporain du réalisateur et producteur Claude Berri (lire le JdA no 342, 4 mars 2011). Alors qu’une valeur avoisinant 30 millions d’euros avait été négociée entre les deux parties, les enfants du producteur, décédé en 2009, se sont finalement rétractés au profit de la surenchère d’un autre acheteur. Soit une première dans l’histoire des dations. D’aucuns ont déploré la lenteur des procédures pour expliquer cet échec. « La commission des dations fait tout pour que cela se fasse dans l’intérêt de l’État et de l’offreur, conteste Serge Lemoine, qui en a longtemps été membre. Dans ce cas, c’est plutôt un coup très grave porté à l’esprit public. » Les musées français ne feraient-ils donc plus rêver les collectionneurs ou leurs ayants droit ? Difficile à dire, dès lors que le marché de l’art contemporain demeure très spéculatif et que quelques collectionneurs étrangers sont capables de muscler la concurrence. L’importance des dons manuels – qui peuvent eux aussi être défiscalisés, à hauteur de 60 % –, donations devant notaires et legs effectués en faveur des musées laisse penser que leur image patrimoniale n’a pas été écornée par le débat sur l’inaliénabilité des collections. À défaut de moyens dispendieux, il reste donc aux conservateurs à suivre de près le marché de l’art, afin d’y dénicher de « bonnes affaires ». Non sans une certaine prudence, afin d’éviter le « délit d’initié » que constitue l’erreur sur la substance, réprouvée par la loi. Malgré une initiation renforcée au cours de leur formation, de nombreux conservateurs entretiennent des rapports encore très distanciés avec le marché de l’art. Quand certains sont connus à l’hôtel Drouot, d’autres n’y mettent jamais les pieds. Et à ce jeu, les musées situés en régions sont défavorisés. D’où le rôle d’alerte censé être joué les grands musées nationaux. « Le Louvre ne nous signale plus d’œuvres à acheter pour notre musée, comme cela a pourtant longtemps été le cas », déplore le directeur d’un établissement en région. La solidarité entre musées, qui est aussi la clef de voûte d’une politique dynamique en termes d’acquisition, a fait long feu.
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Quelques rouages à huiler
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°348 du 27 mai 2011, avec le titre suivant : Quelques rouages à huiler