Le contexte économique difficile accentue le clivage entre les grands et les petits musées nationaux. Même si les valeurs d’acquisition des établissements publics ont été divisées par deux.
Le constat est désormais patent, y compris dans le domaine des acquisitions. Il existe bel et bien une ligne de fracture entre musées nationaux. Le fossé se creuse entre les établissements publics, qui, en raison de leur autonomie de gestion et leurs moyens financiers, parviennent malgré une conjoncture difficile à réaliser encore quelques acquisitions d’importance, et les autres, petits musées nationaux dits « SCN » (services à compétence nationale). Le Musée national du Moyen Âge-Thermes de Cluny (Paris) ou le Musée Fernand-Léger (Biot, Alpes-Maritimes) doivent ainsi composer avec de maigres enveloppes. Cela alors que leur rayonnement, logiquement plus modeste, ne leur permet pas de miser sur un très fort élan de générosité. Si comparaison n’est pas raison, les chiffres sont éloquents : avec plus de 14 millions d’euros en 2010 – dont seulement 3,2 millions à titre onéreux –, la valeur des acquisitions du Musée d’Orsay est près de trente fois supérieure à celle du Musée national de la Renaissance ou du Musée de Cluny !
Dans son rapport récent portant sur « Une décennie de gestion des musées nationaux », la Cour des comptes confirme ce constat relatif aux musées SCN : « Leurs acquisitions reposent sur des bases fragiles : la subvention de l’État versée à la RMN qui leur bénéficie in fine se réduisant d’année en année, ils dépendent de plus en plus, soit du Fonds du patrimoine, soit des mécènes, sans disposer pour autant d’équipes spécialisées pour rechercher et convaincre ces derniers. » Or l’enveloppe du Fonds du patrimoine, soit 7,89 millions d’euros en 2010 – qui doit aussi servir aux acquisitions des musées territoriaux –, est de plus en plus souvent ponctionnée pour des opérations réalisées au profit des établissements publics. En 2010, seuls deux petits musées nationaux ont bénéficié de ces crédits (le château-musée de Compiègne, dans l’Oise, et le Musée national de la porcelaine Adrien-Dubouché, à Limoges), le tiers des opérations ayant profité aux grands établissements parisiens. Les acquisitions de prestige leur étant de fait interdites, les SCN ont donc réduit la voilure depuis plusieurs années. Au Musée national de la Renaissance, à Écouen, seuls quatorze achats ont été réalisés l’an passé, parmi lesquels celui d’un important émail peint sur cuivre par Jean II Pénicaud (La Justice, vers 1541). Acheté pour 244 900 euros, son coût représente la moitié de l’enveloppe globale, quand une majorité d’acquisitions ont un prix inférieur à 5 000 euros.
Louvre : un montant divisé par deux
Paradoxalement, si les petits musées nationaux ont vu leurs moyens se réduire depuis la disparition du système mutualiste, ils ont aussi été plus préservés de la contraction brutale des possibilités d’enrichissement qui affectent aujourd’hui les grands établissements publics. Avec 20 millions d’euros d’acquisitions, le Louvre a fait deux fois moins bien en 2010 qu’en 2009. De même, le Musée d’Orsay accuse un différentiel de près de 6 millions d’euros par rapport à l’an passé. Cela malgré quelques libéralités d’importance, comme la dation de cinq tableaux de William Bouguereau et d’une toile de Giovanni Boldini, ou encore l’entrée d’une seconde donation Rispal d’Art nouveau. Le Musée national d’art moderne (Mnam, Paris) – seul établissement, avec la Bibliothèque nationale de France, refusant de communiquer la valeur de ses acquisitions – ne peut pas non plus se targuer d’une année exceptionnelle, accusant une baisse de 20 millions d’euros. L’établissement s’enrichit toutefois de manière substantielle tous les ans grâce à de très nombreux dons, y compris venant d’artistes (tels Erró, Marlene Dumas, Henri Cueco ou Noël Dolla) et de galeries. L’année n’a pas été plus fastueuse du côté du château de Versailles, malgré plusieurs achats opérés en vente publique, notamment à l’étranger.
Le net repli de l’engagement des entreprises en faveur des acquisitions s’est donc mué en sanction. Rappelant, à qui l’aurait oublié, que les budgets propres de ces établissements ne sont guère suffisants pour mener une politique d’enrichissement de prestige. Le dynamisme des musées en matière d’acquisitions est donc désormais étroitement corrélé à la conjoncture économique, à moins de se résoudre à une politique d’enrichissement plus modeste, comme le font déjà les petits musées nationaux. Quel que soit d’ailleurs leur statut : dernier-né des établissements publics, le château-musée de Fontainebleau fait aujourd’hui pâle figure, avec moins de 100 000 euros alloués à ses achats d’œuvres, soit le budget d’acquisition d’un petit musée territorial… En moins de deux années d’existence, il n’est pas encore parvenu à inscrire une ligne budgétaire spécifique pour ses acquisitions.
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Ligne de fracture
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°348 du 27 mai 2011, avec le titre suivant : Ligne de fracture