Bruxelles ouvre un musée consacré au peintre qui permet une remarquable immersion dans l’univers du surréaliste belge. Le parti pris chronologique éclaire certains aspects méconnus de l’œuvre.
Il ne faut pas craindre la lumière du soleil sous prétexte qu’elle n’a presque toujours servi qu’à éclairer un monde misérable. » Cette phrase de René Magritte (1898-1967), mise en exergue dans l’une des salles du musée éponyme qu’accueille désormais la capitale belge, aurait mérité d’être méditée par ses concepteurs. Curieusement, ces derniers ont en effet pris le pris le parti – regrettable – de plonger le visiteur dans une obscurité mortifère que le peintre n’aurait manifestement pas appréciée. Ces nouvelles salles des Musées royaux des beaux-arts – car il ne s’agit pas, contrairement à ce que son nom laisse penser, d’un véritable musée – constituent néanmoins un bel hommage au peintre surréaliste. L’institution disposait en effet d’un fonds remarquable consacré au peintre, constitué notamment grâce à d’importants legs, dont celui de Georgette Magritte, sa veuve, ou encore celui d’Irène Hamoir-Scutenaire, proche du couple Magritte. Cet ensemble a été enrichi de prêts de la Fondation Magritte, dont le président, Charly Herscovici, militait depuis 1998 en faveur de ce projet, mais aussi de collectionneurs privés. Le parcours, chronologique, permet ainsi de naviguer dans les méandres de la production du grand surréaliste belge, sans occulter certaines périodes plus ou moins brillantes que le marché de l’art n’avait guère retenues.
La révélation de 1923
Né près de Bruxelles, le jeune René, aîné de trois garçons, perd sa mère – qui se suicide par noyade dans la Sambre – à l’âge de 14 ans. Son père, souvent absent pour ses affaires, n’empêchera pas sa vocation artistique. Magritte fréquente ainsi, pendant cinq ans, l’Académie royale des beaux-arts de Bruxelles en candidat libre. C’est là qu’il rencontre ses premiers acolytes, Servanckx et Flouquet, puis les frères Bourgeois, avec lesquels il s’engagera dans l’aventure de la revue d’avant-garde 7 Arts. Quelques œuvres de jeunesse témoignent des hésitations du jeune peintre, entre impressionnisme, cubisme, purisme, futurisme. Magritte commence alors à gagner sa vie en exécutant des « travaux imbéciles », dessinant affiches, papier peint et couvertures de partitions musicales, une activité qu’il poursuivra jusque dans les années 1950. Mais c’est en 1923, un an après son mariage avec la belle Georgette – qui sera le modèle de nombreux tableaux –, qu’il a une révélation en découvrant Le Chant d’amour de Giorgio de Chirico (1914, New York, Museum of Modern Art). Magritte trouve là son credo : dans sa peinture, l’esthétique sera reléguée au second plan au profit du sens. « L’art doit évoquer le mystère sans lequel le monde n’existerait pas », expliquera-t-il. L’Homme du large (1927), inspiré par la figure populaire de Fantomas, mais aussi Le Joueur secret (1927) illustrent les premières expériences énigmatiques du peintre, un an après la constitution, à l’automne 1926, du groupe surréaliste belge, autour de Nougé, Goemans et Mesens. Magritte tente alors de s’installer à Paris, où il restera jusqu’en 1930, mais les difficultés matérielles et les rapports houleux avec Breton font rentrer le couple à Bruxelles. La guerre mettra un terme à l’élan du groupe surréaliste.
Une logique du succès
Alors que Magritte peine toujours à vivre de sa peinture, il s’engage, en 1943, dans une voie étonnante, que lui feront renier plus tard ses marchands. Il opte en effet pour une veine post-impressionniste inspirée par Renoir, utilisant des couleurs criardes. Cette tendance accentuera la discorde avec les Français et la rupture avec Breton. C’est donc comme un défi au bon goût que Magritte accepte d’exposer à Paris, en 1948, dans une modeste galerie. En cinq semaines, il exécute toutes les toiles à exposer : rien de Magritte dans cette « période vache », inspirée de l’iconographie populaire, dont les principales œuvres proviennent du legs Scutenaire. Les surréalistes français le raillent. Tous sauf Éluard, qui note dans le livre d’or : « Rira bien qui rira le dernier. » Bien vu. Magritte accède enfin, dans les années 1950, à la reconnaissance internationale. Son marchand américain, Alexandre Iolas, le presse de refaire du Magritte. Il s’exécute et vend désormais à profusion. Il peint sur commande, multiplie les versions, souvent différentes. Parfois pour le pire, mais aussi parfois pour le meilleur, comme avec L’Empire des lumières, dont il peindra seize versions à l’huile et sept à la gouache. Le multiple a donc fait partie de la logique du succès de l’artiste. Appliqué aux produits dérivés, ce concept avait trop longtemps nui à son œuvre. Ce musée remet aujourd’hui Magritte à sa juste place.
- Superficie : 2 500 m²
- Nombre d’oeuvres exposées : 250
- Coût : 7,5 millions d’euros, dont 6,5 millions (estimation) de mécénat de compétences GDF-Suez
- Scénographie : Winston Spriet
1, place Royale et 3, rue de la Régence, 1000 Bruxelles, tlj sf lundi, 10-17h, www.musee-magritte-museum.be, Guide du Musée, 160 p., 150. ill., Hazan, 15 euros, ISBN : 9782754103541.
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Tout Magritte
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Abonnez-vous dès 1 €Magritte, Écrits complets, édition établie et annotée par André Blavier, éditions Flammarion, Paris, 2009, 764 p., 30 euros
David Sylvester, Magritte, éditions Actes Sud, Arles (réédition 1992), 448 p., 49 euros
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°306 du 26 juin 2009, avec le titre suivant : Tout Magritte