Vingt portraits du maître flamand sont exceptionnellement réunis à Bruges. L’occasion d’approfondir la recherche sur le primitif flamand.
BRUGES - Un homme au visage lumineux, vêtu d’habits sombres et se détachant sur un paysage estival, est représenté en buste tourné de trois quarts vers la gauche de manière particulièrement réaliste. Le cadre peint à l’intérieur du tableau, séparant l’homme de l’arrière-plan, introduit le modèle dans l’espace même du spectateur, selon le procédé du trompe-l’œil. Probablement réalisé vers 1470-1475 par Hans Memling, cet impressionnant Portrait d’homme, conservé à New York (Frick Collection), a rejoint les cimaises du Musée Groeninge à Bruges, qui explore l’un des aspects les plus passionnants et les moins étudiés de son œuvre : la pratique du portrait. En 1994, pour le 500e anniversaire de la mort du maître flamand, à travers des collections publiques et privées provenant du monde entier, les musées municipaux de Bruges lui avaient déjà consacré une grande exposition monographique. Ce fut une occasion unique de reconsidérer la production de cet artiste d’origine allemande, né vers 1435 avant de s’installer à Bruges. Après avoir été adulé à la fin du XIXe siècle, il tomba en disgrâce auprès d’historiens de l’art tel Panofsky – celui-ci le considérait comme « un petit maître majeur ». En 1994, toujours, sortait l’importante biographie signée Dirk De Vos, éminent spécialiste de Memling, alors conservateur du Musée Groeninge. Les deux événements donnèrent une nouvelle impulsion aux recherches menées sur l’artiste, dont les premiers résultats sont ici livrés au public.
Retrouvailles
L’exposition (et son catalogue) souligne la virtuosité technique du maître et son rôle majeur de portraitiste. « Ce fut dans ce genre que Memling exerça une influence fondamentale – jusque-là sous-estimée – sur le développement de l’art du portrait en Europe, notamment en Italie, à la Renaissance, explique Till-Holger Borchert, commissaire de l’exposition et conservateur au Musée Groeninge. Memling semble avoir inventé le type de portrait le plus en vogue à la Renaissance, celui que l’on peut admirer dans l’œuvre de Ghirlandaio, Cossa, Bellini, Pérugin, et même Raphaël. » À savoir, le portrait vu de trois quarts avec un paysage pour décor, dont le Portrait d’un homme avec une monnaie de l’empereur Néron (1473 ?), rare tableau où le personnage regarde en direction du spectateur, constitue un bel exemple. On pourrait citer également les Deux volets avec les portraits de Willem Moreel et Barbara Van Vlaenderberch (vers 1480), initialement rattachés à un triptyque de dévotion privé.
Les deux protagonistes sont installés dans une loggia donnant sur un paysage en contrebas. « La perspective diagonale de la loggia se redressait probablement lorsque les volets étaient ouverts à un angle de 45° environ par rapport au mur », précise dans le catalogue Till-Holger Borchert. Ce procédé est aussi utilisé dans Le Diptyque de Maarten Van Nieuwenhove (daté 1487), l’un des chefs-d’œuvre de Memling figurant une Vierge à l’Enfant (à gauche) et le donateur en prières (à droite) dans un intérieur aux multiples fenêtres. Souvent cité pour son importance accordée au paysage, le Triptyque avec les saints Christophe, Maur et Gilles (1484), dit Triptyque Moreel, est l’un des portraits de famille flamands les plus anciens. Willem Moreel et Barbara Van Vlaenderberch prennent place aux côtés de leur nombreuse progéniture. Le tableau a demandé plusieurs années de travail à Memling, période pendant laquelle le couple a donné naissance à d’autres enfants… Cela expliquerait que six des douze filles représentées aient été ajoutées sur un paysage déjà peint !
La manifestation brugeoise est aussi l’occasion de belles retrouvailles, comme ce Couple âgé (vers 1470-1475), dont l’Homme, conservé à la Fondation Preussischer Kulturbesitz de Berlin, et la Femme, au Musée du Louvre à Paris, sont enfin réunis. Les portraits de Memling, qui doit beaucoup à ses aînés Petrus Christus et surtout Rogier Van der Weyden (dont il aurait été l’élève), connurent un grand succès auprès des riches bourgeois de Bruges mais aussi des marchands étrangers, férus collectionneurs d’art flamand. Pour Till-Holger Borchert, c’est grâce à Memling – plus encore que Van Eyck ou Van der Weyden – que les innovations du portrait primitif flamand prirent le chemin de l’Italie pour se développer à Venise, Florence ou en Lombardie. Les artistes flamands des générations suivantes, tels Quentin Metsys, Joos Van Cleve, Jan Gossaert ou Barend Van Orley, s’inspirèrent à leur tour de la peinture de la Renaissance italienne pour donner un nouvel élan au portrait au début du XVIe siècle.
Jusqu’au 4 septembre, Musée Groeninge, Dijver 12, Bruges, Belgique, tél. 32 5044 87 11, www.corpusbrugge05.be, tlj sauf lundi, 9h30-17h. Catalogue, édition Ludion, 192 p., 30 euros, ISBN 9-05544-542-8.
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Memling, les yeux dans les yeux
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissaire : Till-Holger Borchert, conservateur au Musée Groeninge de Bruges - Lieux de présentation : après le Musée Thyssen Bornemisza de Madrid et le Musée Groeninge de Bruges (jusqu’au 4 septembre), l’exposition ira rejoindre la Frick Collection de New York (11 octobre-31 décembre) - Nombre d’œuvres de Memling : vingt tableaux, soit les deux tiers des portraits connus de l’artiste
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°218 du 24 juin 2005, avec le titre suivant : Memling, les yeux dans les yeux