Memling, longtemps critiqué pour son apparente mièvrerie, fait l’objet d’une exposition événement à Bruges à partir du 12 août, dans les locaux rénovés et agrandis du Musée Groeninge. Profitant de prêts venus du monde entier, les commissaires réussissent à réunir une quarantaine de tableaux, soit près de la moitié de l’œuvre conservé.
BRUGES - Sous le titre "Hans Memling, cinq siècles de réalité et de fiction", seront réunis des tableaux comptant parmi les plus importants de l’artiste, comme le Triptyque de la Vierge à l’enfant (ca.1465-1467) de Kansas-City – révélateur des débuts de l’artiste –, le Jugement dernier (1467-1471) de Gdansk – sans doute la réalisation la plus monumentale de Memling –, la Passion du Christ de Turin (1470-1471) – où fourmillent de petites actions narratives – ou le Christ bénissant (1478) de Pasadena. Parmi les portraits, quelques pièces importantes sont au rendez-vous, comme ce Portrait d’homme, daté de la fin des années 1470, conservé au château de Windsor ou L’homme à la flèche (ca. 1478-1480) de Washington.
Autour du noyau formé par les quarante et un tableaux de Memling, l’exposition réunit documents, manuscrits, objets d’art, et quelque cinquante œuvres (tableaux, copies, gravures et dessins) d’artistes des XVe et XVIe siècles comme Rogier van der Weyden, Julius Goltzius, Stefan Lochner ou Gerard David. Un ensemble fastueux, qui remettra en lumière le contexte et l’influence de l’œuvre de Memling, en même temps que l’histoire de son œuvre jusqu’à sa redécouverte au siècle passé. L’exposition se présente ainsi comme un panorama de la peinture flamande au tournant du XVe siècle, moment historique essentiel.
Né vers 1435 près de Francfort, Hans Memling acquiert en 1465 le droit de bourgeoisie de la riche cité flamande. Sorti de l’atelier du tournaisien Rogier van der Weyden, Memling s’impose très vite comme un des principaux artistes brugeois, aux côtés de Petrus Christus qui vient de faire l’objet d’une vaste exposition au Metropolitan Museum de New York. Lorsque ce dernier décède en 1472 ou 1473, Memling s’impose comme le seul portraitiste brugeois. Si l’essentiel de son œuvre a été réalisé pour l’Église et pour la riche bourgeoisie brugeoise, il a aussi répondu à des commandes de patriciens italiens comme les Portinari.
Une dimension lyrique personnelle
Le réalisme liturgique qui avait marqué jusque-là la peinture flamande évolue avec Memling. Celui-ci transforme l’espace environnant en un climat sentimental qui ne s’arrête jamais aux éléments dramatiques, mais préfère mettre en exergue les éléments joyeux d’un quotidien pacifié. La critique lui reprochera son manque de fanatisme religieux et l’absence de profondeur dans l’observation, alors que Memling instille dans l’image liturgique une dimension lyrique nouvelle qui bouscule l’objectivité de l’icône.
L’image s’intériorise et gagne en sensibilité, tout en recherchant l’exercice sensuel d’une beauté dépouillée de tout accidentel. Loin du réalisme et de la profondeur signifiante du détail d’un Van Eyck, Memling libère l’action du temps présent pour la laisser refluer dans un monde intérieur plus rêvé que vécu. Aux antipodes des formules pathétiques de Rogier van der Weyden, il épure la forme pour y consacrer sa sentimentalité lyrique. Memling puise ainsi dans la tradition un registre d’icônes, qu’il reprend à son compte et interprète en les plaçant dans un contexte narratif jusque-là inconnu.
Aux figures exemplaires de ses prédécesseurs, il substitue de petites scènes narratives qui s’enchaînent comme dans un songe. L’organisation de l’espace se transforme elle aussi. Le Flamand emprunte aux Italiens des rudiments de perspective, pour étaler horizontalement l’espace dans lequel les figures se répartissent. Memling joue en scénographe, afin de trouver l’effet expressif dans un flux où les figures se déploient avec grâce. Le travail se révèle précis, équilibré, les effets recherchés, les tensions concertées, les formes élégantes mûrement étudiées. Memling ne cherche pas l’autorité dans l’austérité d’une grave révélation, mais l’harmonie condensée en un souffle léger.
L’œuvre de Memling sera aussi appréhendé à travers les techniques d’investigation moderne. Rayons X, infrarouge, thermoluminescence et réflectographie ont largement contribué au renouvellement des recherches dans le domaine de la peinture flamande des XVe et XVIe siècles. Le cas Memling mérite qu’on s’y arrête, puisque l’examen scientifique a permis de comprendre comment l’artiste concevait, élaborait, corrigeait sans cesse ses compositions jusqu’à l’instant ultime d’un achèvement parfait. Le graphisme nerveux des mises en place contraste nettement avec cette apparente détente qui frappa tant la critique. Chaque repentir, chaque correction, témoigne d’un désir et révèle le projet de l’artiste.
Cette exposition amène à s’interroger sur la nécessité de déplacer des œuvres connues pour leur fragilité. Le débat, déjà lancé à propos de l’exposition Petrus Christus à New York, doit être tempéré par les soins attentifs apportés aux conditions de transport et d’exposition. Ainsi, à Bruges, le nombre de visiteurs admis par heure devrait être limité.
"Hans Memling cinq siècles de réalité et de fiction". Du 12 août au 15 novembre 1994, tous les jours de 10 à 21 heures, au Musée Groeninge de Bruges. Attention, accès contingenté selon les heures et les jours. Renseignement : Memling info : 050/34.79.59. Entrée de 150 à 300 francs belges.
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Memling en majesté
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Abonnez-vous dès 1 €Il sera difficile cet été à Bruges d’échapper à la présence du Maître, tant les activités programmées sont variées et multiples. Plusieurs concerts sont annoncés : le 11 août à 20h30 en l’église Saint-Gilles, où repose la dépouille de Memling, on commémorera le cinq centième anniversaire de la mort du peintre, avec un concert ayant pour thème "La musique dans les cours européennes vers 1494". Le lendemain, à la même heure, l’ensemble Sirinu s’attaquera au répertoire bourguignon, aux Halles de Bruges. Enfin, signalons deux concerts organisés en l’église Saint-Gilles, à 20 heures, consacrés, le 17?septembre, à la musique polyphonique de Heinrich Isaac, compositeur à la cour de Maximilien d’Autriche, exécuté par la Capella Pratensis des Pays-Bas et, le 8 octobre, à la musique religieuse et profane de Obrecht, Isaac, Josquin des Prés, Gilles Joye, donné par le chœur Cantus, venu de Grande-Bretagne.
Pour ceux qui voudront retrouver la Bruges de Memling, des parcours guidés sont prévus, afin de visiter les sites qui inspirèrent l’artiste. À côté de ces manifestations et des initiatives pédagogiques nombreuses, mentionnons les inévitables excès du marketing culturel, qui vont des "banquets bourguignons" organisés par les Amis des musées de Bruges les 10 et 11 septembre, aux "Menus Memling" présentés par les restaurateurs brugeois – réponse aux surprenants "Menus Monet" qui avaient fleuri à Liège lors de l’exécrable exposition qui s’y était tenue il y a quelques années – en passant par le "vin Memling" et autres articles de large consommation, qui ne manqueront pas de faire florès durant cet été voué aux Primitifs flamands.
Renseignements : Memling info : 050 34 79 59.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°5 du 1 juillet 1994, avec le titre suivant : Memling en majesté