Les secousses sismiques d’une ampleur inédite qui frappent l’Italie centrale depuis cet été ne semblent pas vouloir s’arrêter, empêchant les autorités d’appliquer leur procédure.
Rome - Les quatre tremblements de terre qui ont ravagé l’Italie centrale à la jonction des Marches, des Abruzzes, du Latium et de l’Ombrie les 24 août, 26 octobre et 30 octobre (de magnitude 6,5 sur l’échelle de Richter, soit le plus violent en trente-six ans) sont sans précédent, en raison non seulement du bilan humain très important (aux 300 morts du 24 août à Amatrice, il faut ajouter des milliers de personnes à reloger), mais aussi par l’étendue des dommages patrimoniaux.
Pour Elisa Poli, critique d’architecture et professeure à la Domus Academy de Milan, spécialiste des reconstructions après les catastrophes naturelles, la situation actuelle est très grave : « Il ne s’agit plus aujourd’hui d’établir un bilan patrimonial de façon classique, mais plutôt de comprendre comment un territoire vaste de près de 1 100 kilomètres carrés a été perdu pour toujours. Il est plus juste de parler d’un paysage culturel et artistique anéanti. » Elle explique qu’à L’Aquila, en 2009, le drame humain était, certes, comparable au séisme d’Amatrice, mais une ville seule avait été dévastée et non un territoire entier. Selon elle, la destruction de la basilique de San Benedetto (Saint-Benoît) à Norcia, construite sur la maison natale du saint, lieu éminemment symbolique, est synonyme de disparition de l’imaginaire et du mode de vie traditionnel de ces petits villages. Depuis les 26 et 30 octobre, la situation a considérablement évolué, d’autant plus que les épicentres des dernières secousses sont situés à 50 kilomètres au nord de celui d’Amatrice. Si les dizaines de milliers de répliques enregistrées après le 24 août avaient été prises au sérieux, les trois derniers séismes ont fait voler en éclats le travail d’inventaire des dommages. Antonia Pasqua Recchia, secrétaire générale du ministère italien des Biens et Activités culturels, a rapporté au Journal des Arts avoir reçu 2 400 signalements de biens touchés jusqu’au 25 octobre, tout en précisant que depuis le 26 octobre la liste ne cesse de s’allonger.
Le rythme des séismes se multiplie et devrait durer des mois (du 24 août au 3 novembre, l’Institut national de géophysique italien a comptabilisé 22 400 répliques sismiques). De fait, il ne s’agit plus à présent de recenser les dégâts pour envisager un plan de reconstruction. D’après Alessandro Delpriori, historien de l’art et maire de la commune de Matelica, interrogé par le JdA, le traitement de la crise a totalement changé de dimension : « Aujourd’hui, nous devons seulement sauver ce qui peut l’être. »
Après le tremblement de terre d’Amatrice, le ministère avait procédé à un étaiement des édifices, mais ces étais n’ont pu supporter les dernières répliques, ainsi pour l’église Sant’Agostino à Amatrice, dans le Latium, ou pour le village de Castelluccio près de Norcia, en Ombrie. Antonia Pasqua Recchia fait observer que le séisme du 30 octobre a été huit fois plus violent que celui d’août : les dispositifs de mise en sécurité n’ont pas tenu, « mais ils ne pouvaient pas tenir, car ils sont pensés pour soutenir les constructions dans des conditions normales et non pour faire face à une secousse aussi puissante ». D’autres monuments, telles l’église San Salvatore a Campi de Norcia ou l’abbatiale de Sant’Eutizio à Preci, l’une des plus anciennes d’Italie, où le ministère n’avait pas encore eu le temps d’intervenir, se sont également effondrés comme des châteaux de cartes le 26 octobre.
Un principe de précaution contesté
Le principe de précaution imposé par le ministère depuis deux mois et demi, tant critiqué entre les 26 et 30 octobre en Italie, n’a pas seulement été dicté par des raisons d’ordre technique (éviter des interventions hâtives par des personnes non averties). Tout le pays avait gardé en tête l’événement dramatique qui se produisit lors de la deuxième réplique du tremblement de terre qui ravagea Assise. Le 26 septembre 1997, en fin de matinée, alors qu’un groupe de personnes accompagnées de journalistes était en train de constater les dommages du séisme de la nuit dans la basilique d’Assise, une secousse beaucoup plus forte causa la mort de deux prêtres et deux techniciens du ministère.
Début novembre, le ministère a cependant pris conscience de la nécessaire adaptation du protocole qui interdisait jusqu’à présent aux autorités locales d’intervenir sur les monuments touchés, cette prérogative étant réservée aux fonctionnaires d’État. « C’est désespérant, nous a expliqué Alessandro Delpriori. À Matelica, la moitié des maisons ne sont plus habitables. Il est impossible de quantifier les dégâts patrimoniaux car nous ne pouvons rester à l’intérieur du musée et des églises que quelques minutes entre les différentes répliques. Nous faisons maintenant avec les moyens du bord. En engageant des dépenses de mon propre chef, le protocole d’État ne me permet pas ensuite d’être remboursé par le fonds d’aide à la reconstruction. Pour les fresques d’Allegretto Nuzi à San Francesco sévèrement affectées, nous venons de recevoir plusieurs propositions de mécénat, notamment de la part d’antiquaires que j’ai sollicités. » Le ministre a confié au maire de Matelica qu’il est en train de chercher des solutions nouvelles et la secrétaire générale du ministère a indiqué que l’État allait autoriser les interventions locales.
Le découragement gagne
Toutes les personnes interrogées font toutefois état d’un découragement et d’un grand état de fatigue. C’est le cas de Gianluca Pasqui, maire de Camerino, ou de Sergio Pirozzi, maire d’Amatrice, où tous les monuments qui avaient résisté en août sont maintenant à terre. Il devient d’ailleurs parfois difficile de sensibiliser les populations locales à ces questions. À Norcia, les destructions sont telles que, pour le curé Don Marco Rufini : « Les appels au secours pour sauver le patrimoine ne servent plus à rien, il faut seulement tout reconstruire, le reste n’est que balivernes. Toutes les églises sont à terre, donc tirez vos propres conclusions ! Avant tout, il faut s’occuper des personnes au lieu de penser aux cailloux. Les œuvres d’art… que dire… ? Peu importe ! »
À la tête de l’Unité de crise nationale pour le patrimoine, Fabio Guttuso Carapezza, déplore quant à lui que tout le travail effectué ait été perdu : « Nous devons tout recommencer depuis le début. Nous avions heureusement mis à l’abri des centaines d’objets et terminé la rédaction de fiches techniques. » Certains dépôts ne seraient d’ailleurs plus protégés. Antonia Pasqua Recchia souligne aussi l’épuisement des techniciens du ministère mobilisés depuis des semaines : « Nous sommes près de 200 personnes. Mais ce n’est pas suffisant car les fonctionnaires qui travaillent d’arrache-pied depuis deux mois et demi plus de douze heures par jour sept jours sur sept sont fatigués. Il faut envisager plus de rotations, donc trouver plus de personnel. » Refusant de faire appel à des secouristes étrangers, elle affirme : « Notre pays possède déjà de très grandes compétences et nous allons réussir à nous en sortir. » Cette attitude est de plus en plus critiquée dans la presse italienne, qui rappelle l’exemple des Angeli del Fango (« les anges de la boue »), ces jeunes gens venus du monde entier pour sauver les œuvres de Florence lors de l’inondation de 1966.
Alors que de nouveaux tremblements de terre ont été enregistrés aux portes de Florence et à Arezzo, où sont conservés les chefs-d’œuvre de Piero Della Francesca, cette situation d’une gravité exceptionnelle est en train de s’installer dans la durée.
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Séisme en Italie, la situation s’aggrave
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°467 du 11 novembre 2016, avec le titre suivant : Séisme en Italie, la situation s’aggrave