Rafael Tovar y de Teresa, ministre de la Culture du Mexique, veut faire oublier les tensions diplomatiques avec la France.
Après avoir visité l’exposition « Mayas », au Musée du quai Branly, en compagnie de Fleur Pellerin, le ministre de la Culture mexicain, Rafael Tovar y de Teresa, commente le réchauffement des relations franco-mexicaines.
D’où vient votre attachement à la France ?
Ma famille a toujours été amoureuse de la culture française. J’ai également travaillé ici, étant plus jeune, comme conseiller auprès de l’ambassade pendant cinq ans. J’espère connaître assez bien votre littérature du XIXe et du XXe siècle. Ce qui me passionne, c’est la lecture si particulière que fait la France de la culture occidentale et universelle.
À l’issue de l’entrevue avec Fleur Pellerin, avez-vous pris des décisions sur la coopération ?
Lors de la visite du président Hollande au Mexique en avril dernier, j’ai rencontré Aurélie Filippetti. Nous avons élaboré et signé un agenda clair de coopération pour les prochaines années, donc rien ne justifiait d’y revenir. En revanche, nous avons initié l’idée d’un séminaire annuel franco-mexicain pour échanger les bonnes pratiques en matière de politique culturelle.
L’annulation de l’année France-Mexique suite à l’affaire Cassez vous semble-t-elle oubliée ?
La visite du président Hollande en est le meilleur exemple : son succès politique, économique, commercial, éducatif prouve qu’on ne peut pas nier longtemps la force et l’ancienneté des relations entre nos deux pays. Dans l’histoire des relations extérieures du Mexique au XXe siècle, les relations culturelles avec la France occupent une place particulière. Les écrivains français intéressés par la culture mexicaine sont innombrables. De nombreux Mexicains ont aussi vécu en France. Il existe une fluidité et une culture d’échange entre les deux pays, dont les accords officiels et institutionnels ne sont qu’une illustration a posteriori.
La France est-elle un partenaire culturel majeur du Mexique ?
Dans le top cinq, indéniablement, aux côtés d’un ou deux partenaires latino-américains, des États-Unis, de l’Espagne et du Royaume-Uni. Elle s’illustre notamment sur la question du patrimoine culturel et des échanges à l’occasion des grandes expositions. Il y a constamment une présence française importante au Mexique et vice versa. En ce moment, l’exposition « Mayas » au Quai Branly est la plus importante présentée depuis trente ans sur le sujet. Toutes les pièces sont issues de fouilles récentes qui ont enrichi la recherche. L’événement offre une belle continuité avec « Teotihuacan », exposition qui fut, il y a deux ans, le record de fréquentation du Musée. Entre les deux, en 2013, Frida Kahlo avait rassemblé à Paris près de 300 000 visiteurs [à l’Orangerie]. Vous le voyez, l’année du Mexique en France a lieu tous les ans, et c’est bien mieux ainsi !
Quels sont les projets pour l’avenir ?
En 2016, nous présenterons au Grand Palais un panorama de l’art mexicain du XXe siècle en dialogue avec l’art préhispanique. Cette exposition voyagera ensuite au Mexique en 2017, où elle intègrera des œuvres d’artistes français.
Quels sont les moyens de votre ministère ?
Notre budget fédéral pour la culture est d’environ un milliard d’euros [le Mexique est une fédération de 32 états]. À l’échelle de l’Amérique latine (1), c’est relativement important. Il couvre le patrimoine, l’éducation artistique, les cultures populaires, la diffusion de la culture (musées, orchestres, compagnies), la lecture et l’appui au livre, le cinéma et l’audiovisuel.
Pour quels objectifs ?
Nous avons quatre priorités. Au développement d’un agenda numérique (accessibilité dématérialisée), s’ajoute le programme « Culture en harmonie » (accessibilité sociale). Nous avons ensuite un objectif de fonctionnement à plein régime des infrastructures : le Mexique a beaucoup investi ces dernières décennies pour construire près de 1 500 musées, 1 000 auditoriums et des milliers de médiathèques. Aujourd’hui, nous devons veiller à la conservation de ces infrastructures, et les alimenter avec une programmation planifiée. Enfin, notre quatrième objectif est la « Projection culturelle du Mexique au monde ». Outre les expositions évoquées, nous soutenons toutes les présences officielles dans les salons : 2015 sera l’année du Mexique en Grande-Bretagne, et nous serons l’invité d’honneur à la foire du livre de Londres. En 2013, ce furent 500 expositions ou présences mexicaines dans le monde.
On imagine que le patrimoine archéologique occupe une place prédominante dans votre budget ?
La conservation du patrimoine agrège entre 15 et 20 % de notre budget, soit près de 200 millions d’euros. La loi de 1972 définit tout ce qui touche aux biens archéologiques (préhispaniques), historiques (jusqu’au XIXe siècle) et artistiques (à partir du XXe siècle). L’État est propriétaire et responsable du patrimoine archéologique. Il en délègue parfois la gestion et l’usufruit. Nous avons près de 200 000 sites archéologiques, ensevelis sous près de 5 000 monuments historiques (religieux et civils, entre les XVIe et XIXe siècles) : c’est une culture entière, ensevelie en dessous d’une autre culture.
Certains sites archéologiques sont victimes du tourisme de masse. Quelle est la réponse de l’État ?
C’est un enjeu fondamental de notre mission : trouver le difficile équilibre entre la nécessaire protection du patrimoine et le devoir d’ouverture de la connaissance à la nation. Et sans parler de l’enjeu économique – touristique – que représente l’ouverture des sites ! Le régime général de la loi est un cadre déjà restrictif en soi : on ne peut utiliser les espaces qu’à des fins culturelles. Aucune privatisation n’est possible en dehors de l’intérêt général culturel. Enfin, chacun des 200 sites ouverts au public a son propre musée, ce qui permet de protéger certaines pièces en même temps qu’on éduque le visiteur.
Quel moment est propice à ouvrir les nouveaux sites mis au jour, et quand faut-il les fermer ?
Généralement, on termine d’abord tous les travaux. Il faut être sûr que le site soit protégé avant de l’ouvrir au public. C’est le cas à Calakmul, travaillé depuis 20 ans, et de fait assez bien conservé par la nature. Malgré la grande affluence aujourd’hui, les règles sont strictes et profitent aussi du classement mixte du site à l’Unesco, une première au Mexique [patrimoine culturel et naturel].
Italie, Thaïlande, Pérou, avez-vous un modèle ou un partenaire privilégié dans ce domaine ?
Notre cas est trop particulier, pour deux raisons. D’abord, nos vestiges sont les témoignages d’un peuple conquis. Ensuite, beaucoup de ces peuples sont vivants. Beaucoup d’endroits sont encore sacrés pour leurs habitants. Nous devons être très respectueux, d’où la nécessité de trouver un modèle propre. On ne peut pas copier l’administration du patrimoine d’un autre pays.
La scène contemporaine mexicaine a un grand succès. Comment l’expliquez-vous ?
Le Mexique, à chaque génération, a développé des vecteurs d’expression particuliers, des mouvements importants. Une continuité de 3 000 ans a forcément une influence sur les jeunes artistes. Je crois aux paroles de Diego Rivera : « l’art mexicain est toujours vivant parce que ce sont les mêmes mains et les mêmes matériaux qui font les choses ». Si l’on observe les travaux récents de Gabriel Orozco, il y a une certaine parenté avec l’art préhispanique, comme la vision contemporaine d’une même inspiration.
La diffusion de l’avant-garde mexicaine semble davantage dévolue au privé (Fondation Jumex) qu’au public. Est-ce assumé ?
Non, nous avons aussi d’importants musées publics, comme le Musée Rufino Tamayo ou le MUAC [Musée de l’université, tous deux à Mexico]. Nous avons une politique d’appui aux artistes contemporains, notamment par la subvention des délégations dans les foires et biennales. Le ministère soutient aussi la foire de Mexico, MACO.
La star mexicaine de demain ?
Pedro Reyes.
(1) Le budget du ministère de la culture (CONACULTA) correspond au Mexique à environ 0,11 % du PIB, contre, par exemple 0,05 % au Brésil et 0,35 % en France.
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Rafael Tovar y de Teresa : « L’année du Mexique en France, c’est tous les ans ! »
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Abonnez-vous dès 1 €Rafael Tovar y de Teresa. © Photo : Conaculta.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°422 du 31 octobre 2014, avec le titre suivant : Rafael Tovar y de Teresa : « L’année du Mexique en France, c’est tous les ans ! »