Préhispanique

La vision cosmique des Mayas

Par Bérénice Geoffroy-Schneiter · Le Journal des Arts

Le 28 octobre 2014 - 665 mots

Résolument esthétique, la vaste exposition du Musée du quai Branly révèle la complexité et le raffinement de cette civilisation antique.

PARIS - À contempler les quelque 400 pièces généreusement prêtées par les musées mexicains à l’État français, les relations diplomatiques se sont considérablement apaisées entre les deux pays. Conçue et produite par l’Instituto Nacional de Antropologia e Historia de Mexico (l’Inah, qui fête son 75e anniversaire), l’exposition qu’accueille le Musée du quai Branly dresse une formidable radioscopie de la pensée et de la société mayas dans leurs moindres détails. Introduite par des panneaux pédagogiques d’une rare clarté, chaque section guide ainsi le visiteur dans les méandres d’une civilisation dont l’étendue géographique (à peu près 340 000 m2) et temporelle (environ de 1 500 av. à 1 500 apr. J.-C.) pourrait en déconcerter plus d’un ! Toute la réussite du propos réside précisément dans ce souci de replacer la civilisation maya dans son contexte idéologique et environnemental. Loin de la vision romantique faisant des Mayas « les Grecs du Nouveau Monde » ou des clichés véhiculés par une presse en mal de sensations (émergeant de la jungle, les pyramides dégoulinent des flots de sang), l’on découvre la réalité infiniment plus subtile d’une société aux rites complexes et aux modes de vie extrêmement raffinés.

Un peuple naturaliste

On ne saurait ainsi comprendre cette myriade de populations réparties dans le Sud du Mexique, le Belize, le Guatemala, le Salvador et le Honduras sans cette relation viscérale et obsessionnelle des hommes avec les créatures qui les entourent : plantes, animaux, mais aussi ces entités vivantes que sont le soleil, la foudre, la pluie… Les artistes mayas se montrent ainsi d’extraordinaires naturalistes lorsqu’ils traduisent la peau squameuse d’un crocodile rampant sur les eaux originelles, une farandole de singes censés soutenir la voûte céleste, les crocs redoutables d’un jaguar associé à la nuit et à l’inframonde, ou bien encore la tête au long bec d’un pélican, passeur idéal entre les différentes parties de l’univers.

Peu de civilisations ont, en effet, autant expérimenté l’hybridation des formes et l’interpénétration des règnes que les Mayas ! Peuplé d’une multitude de forces sacrées en constante interaction entre elles et avec les hommes, l’univers devient le théâtre d’infinies métamorphoses. Dans ce panthéon qu’il serait vain d’énumérer, l’œil est happé par cette figurine d’un vieillard ridé jaillissant de la fleur d’une aracée bleue. Outre la beauté singulière de la représentation, le symbolisme est on ne peut plus clair : le calice renvoie au sexe féminin et le personnage représenté n’est autre que le dieu K’akoch qui a créé la plante d’où sont sortis les autres dieux…

Mathématiciens et astronomes de génie (leurs systèmes calendaires et leurs connaissances des nombres et des planètes surprennent encore les scientifiques actuels), les Mayas étaient aussi des architectes et des urbanistes hors pair. Conçues à l’image du cosmos, leurs cités comprenaient ainsi de vastes esplanades destinées à accueillir les cérémonies publiques ou sacrées, de somptueux palais ornés de fresques polychromes, des terrains de jeu de balle (dont la dimension cosmique et sacrificielle dépassait de loin le caractère sportif), ainsi que des pyramides à gradins symbolisant les montagnes sacrées. Si la muséographie ne saurait restituer le caractère grandiose des mégalopoles inscrites sur la liste du patrimoine de l’Unesco (Calakmul, Palenque, Uxmal, Chichen Itza), elle nous plonge cependant au cœur de l’intimité du monde maya, de ses aspirations métaphysiques comme de ses angoisses.

Ainsi, on n’oubliera pas de sitôt ces admirables portraits en stuc de dignitaires ou de rois au nez busqué et au crâne étiré vers l’arrière, ces figurines de tisseuses ou de mères portant leur bébé à califourchon sur les hanches. L’émotion est tout aussi forte à ces somptueux masques funéraires en mosaïques de jade censés immortaliser les traits du défunt. Assurément, le passeport idéal pour parcourir le long et périlleux chemin qui conduisait à l’inframonde…

Mayas

Commissariat : Mercedes de la Garza, écrivain, historienne, membre permanent du comité scientifique de l’INAH Nombre de pièces : 385 Muséographie : Wilmotte & Associés SA

Mayas, Révélation d’un temps sans fin

Jusqu’au 8 février 2015, Musée du quai Branly, Galerie Jardin. www.quaibranly.fr, catalogue coédition musée du quai Branly/Rmn-GP, 384 pages, 420 illustrations, 49 €.

Légende Photo :
Masque funéraire de Calakmul avec ornements d'oreilles, découvert dans la Structure XV, Calakmul, Classique récent (600-900), jade et coquillage, Museo Regional de Campeche, fort de San Miguel, Campeche. © Photo : Ignacio Guevara.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°422 du 31 octobre 2014, avec le titre suivant : La vision cosmique des Mayas

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