Peintre du Siècle d’or espagnol dans la veine du Caravage, Francisco de Zurbarán excelle dans l’art de décrire la ferveur de la spiritualité. Forte d'une cinquantaine de chefs-d'œuvre, l’exposition que lui consacre le Palais des beaux-arts, à Bruxelles, met en avant les derniers résultats de la recherche aux dépens de certaines facettes de son travail.
BRUXELLES - « Chez lui, il n’y a pas d’énigme. » Par cette formule lapidaire, Ignacio Cano Rivero, commissaire général du Musée des beaux-arts de Séville, entend résumer l’œuvre de Francisco de Zurbarán. À Bruxelles, il est parvenu à réunir un nombre appréciable de chefs-d’œuvre, ce qui n’est pas un mince mérite dans un centre d’expositions dépourvu de collection. L’artiste n’a pas été présenté hors d’Espagne depuis la rétrospective montée par Jeannine Baticle, il y a près de 30 ans au Metropolitan de New York et au Grand Palais à Paris. L’exposition intègre ainsi les récentes découvertes d’Odile Delenda, rédactrice du catalogue raisonné publié par l’Institut Wildenstein.
L’homme naît en 1598 dans la province méridionale de Badajoz (Espagne, Estrémadure), au nord de Séville. À quinze ans, il entre comme apprenti dans l’atelier sévillan de Pedro Díaz de Villanueva, « peintre d’image », autrement dit de sculpture : les peintres détenaient alors l’exclusivité d’ajouter les couleurs aux statues d’églises. En 2010, à la National Gallery de Londres, Xavier Bray avait mis en valeur l’influence de cette statuaire sur le grand art doloriste espagnol, particulièrement sensible chez Zurbarán. Sa recherche d’illusion, la monumentalité sculpturale de ses figures, jusqu’aux traits accusés de ses visages masculins et plis cassés des robes monacales, renvoient à la taille du bois. Il est regrettable que cette entrée en matière ne soit mentionnée nulle part, ce qui aurait mieux fait comprendre ses saisissantes crucifixions, dont l’exposition présente un tout premier exemple. Souligné par une lumière profonde, le corps blême du Christ se détache sur un fond sombre, si bien que, comme l’a noté un siècle plus tard le chroniqueur Antonio Palomino à propos d’une autre version vue au fond d’une sacristie à Séville, « pour tous ceux qui ne sont pas courants », le tableau « passe pour une sculpture ».
Lumières dramatiques
D’où, sans doute, le choix des organisateurs d’un accrochage sur fond sombre dans la pénombre. Redoublement incongru de ténébrisme… l’éclairage fait flotter les œuvres, en multipliant les reflets. Le parcours aurait également gagné à évoquer l’importance de l’atelier du peintre. L’explication aurait été d’autant plus utile que l’exposition présente une grande variété de toiles, des chefs-d’œuvre commandés par les monastères à la production en série destinée à l’Amérique de l’Espagne coloniale.
Elle offre pourtant bien plus d’espace qu’à sa première étape à Ferrare, permettant l’inclusion d’un grand format aussi spectaculaire que L’apparition de la Vierge du rosaire aux chartreux, jamais sortie de Poznan (Pologne) depuis son entrée au musée en 1903. Est aussi présente la même vision de saint Pierre Nolasque, de la galerie Coatalem, une des toiles du premier contrat signé à Séville par le peintre, à 29 ans. De la magnifique décennie qui s’ensuivit, le délicat archange Gabriel, venu de Montpellier, contraste avec le sévère François d’Assise de Milwaukee. Dans cette figure, également déclinée plusieurs fois par l’artiste, il accentue la verticalité du saint, absorbé dans la contemplation d’un crâne, son visage effacé par l’ombre portée par sa capuche. Le corps est le grand absent de la représentation de Zurbarán. Et quand il s’y risque, le roi ayant souhaité un cycle dédié à Hercule, le résultat n’est pas mirobolant.
En revanche, il est un maître de l’impact visuel de ces personnages isolés, aux tons cendrés, dans lesquels il parvient à concentrer toute l’émotion de « la transcendance spirituelle avec une économie de moyens inouïe », selon les mots trouvés par Jonathan Brown lors de la rétrospective de 1986.
Influences, du Caravage à la pensée catholique
Tout lui est bon. Gabriele Finaldi, du Prado, souligne la diversité de ses inspirations, dont la plus évidente est le caravagisme, transmis par de multiples sources à travers le royaume hispanique de Naples. Mais aussi la vision profane des saintes ou la minutie dans le détail des fleurs ou des étoffes, introduites par des Flamands à Séville, la grâce des Vierges de Raphaël et les coloris vénitiens, qu’il a pu découvrir dans les collections royales à Madrid, ou encore les motifs repris littéralement des estampes de Goltzius et Dürer. Sans parler du théâtre, avec ses pièces populaires dédiées à la vie des saints ou des saintes, qui inspire l’élégance de ses toilettes. Dans ses meilleurs moments, il a cette capacité unique de faire surgir le surnaturel dans l’intensité d’un mysticisme assagi, typique de cette période espagnole. Dans le catalogue raisonné, Odile Delenda souligne ainsi à quel point « ses compositions s’adaptent parfaitement aux écrits hagiographiques et mystiques contemporains », ce qui en fait « l’interprète par excellence de la réforme catholique ».
Commissaire : Ignacio Cano Rivero, commissaire général du Musée des beaux-arts de Séville, avec Gabriele Finaldi, directeur de la recherche au musée du Prado de Madrid
Nombre d’œuvres : 51
Jusqu’au 25 mai, Palais des Beaux-Arts, Bruxelles (Belgique), 32 (0) 2 507 82 00, www.bozar.be, ouvert mardi-samedi 11h-19h, catalogue, Catalogue Francisco de Zurbarán (1598-1664), BOZAR BOOKS & Fonds Mercator, en français ou néerlandais, 248 pages, 49€ et un CD, La Oreja de Zurbarán (Cypres, Huelgas Ensemble & BOZAR), 18 €.
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Zurbarán, le peintre des saints
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Abonnez-vous dès 1 €Francisco de Zurbarán, La Vierge au Rosaire et les Chartreux, vers 1638-1639, huile sur toile, 325 x 190 cm, Muzeum Narodowe w Poznaniu, PoznaÅ„. © RaczyÅ„ski Foundation.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°408 du 28 février 2014, avec le titre suivant : Zurbarán, le peintre des saints