COLMART
L’importante exposition consacrée au peintre d’origine chinoise présente ses grands portraits inspirés par la figure paternelle et ses autoportraits. Une œuvre inédite sur la pandémie conclut le parcours.
Colmar. Frédérique Goerig-Hergott, conservatrice en chef au Musée Unterlinden et commissaire de l’exposition de Yan Pei-Ming, explique la mise en avant de cet artiste par une rencontre déterminante avec son triptyque, Nom d’un chien ! Un jour parfait (2012, voir ill.). Immense, ce triple autoportrait en pied est, selon elle, non seulement une affirmation de soi mais également un écho du retable d’Issenheim, ce chef-d’œuvre de Matthias Grünewald que l’on peut admirer dans la collection du musée.
Si le rapport avec le retable n’est pas évident, on peut admettre que les expressions qui émanent du corps de Pei-Ming évoquent une « représentation christique ». Mais, filiation religieuse ou filiation familiale, l’exposition cherche à remonter aux sources créatives du peintre. Une tentative qui n’est pas simple quand on sait que l’homme a grandi à Shanghaï dans la Chine de la Révolution culturelle, a fait ses classes aux Beaux-Arts de Dijon et vit en France depuis une quarantaine d’années.
Le parcours qui retrace les quatre décennies de la carrière de l’artiste ne s’attarde pas sur les travaux inspirés par la tradition occidentale (Gustave Courbet, Caravage…). Intitulée « Au nom du père », l’exposition se concentre sur des portraits, tantôt ceux de Mao, tantôt ceux du père de l’artiste, l’ensemble mettant en évidence une image paternelle puissante qui traverse, voire détermine, cet œuvre.
Cependant, avant d’aborder cette série d’effigies imposantes, sont présentés les premiers dessins et les premières gouaches réalisés encore en Chine ou au début de la formation française de l’artiste (1976-1982) dont le portrait particulièrement impressionnant de la grand-mère de Pei-Ming, fait à l’âge de 16 ans, d’un classicisme parfaitement maîtrisé, ou ses autoportraits expressionnistes de 1982-1983.
Puis, dès 1987, arrivent les images qui sont devenues de véritables marques de fabrique du peintre, celles de Mao. Quinze ans après le portrait officiel Chairman Mao, cette image iconique de propagande, démultipliée et dotée de couleurs éclatantes par Andy Warhol, a été détournée d’une manière bien différente par l’artiste chinois. Brossés en noir et blanc, plus rarement en rouge, avec de larges coups de pinceau, les visages de Mao se libèrent progressivement des oukases de la ressemblance. Si, au début, on trouve au fond des éléments liés à la culture initiale de Pei-Ming – des journaux ou des idéogrammes –, rapidement la face recouvre pratiquement toute la surface. Ainsi, l’aspect surdimensionné de ces portraits en gros plan et l’impossibilité de voir la toile entière d’un seul regard font que les touches croisées échappent à notre perception habituelle et deviennent presque des composants autonomes de l’image. Cette difficulté à cerner l’ensemble rend la représentation étrangement abstraite, impalpable. Inévitablement, on est tenté de voir dans cet effort de déconstruction une prise de distance de l’artiste vis-à-vis de l’image du culte, qui lui fut imposée, celle du père incontestable de la nation.
Enfin, pour se débarrasser définitivement de ce symbole tutélaire qui envahissait entièrement l’espace public de sa jeunesse, le peintre lui substitue le portrait issu du domaine privé et intime, celui de son père. La toile Les Trois chinois (père, inconnu, Mao) de 1994 est l’emblème de ce passage ; dans cette toile, les trois têtes sombres sont placées côte à côte. Rien d’ailleurs ne nous empêche de voir dans le personnage central un autoportrait, plus ou moins déguisé, placé entre ces deux figures d’autorité.
Désormais, le père devient le personnage incontournable du répertoire artistique de Pei-Ming. Pour autant, sans être idéalisé par le fils, car les titres – L’Homme le plus doux, père de l’artiste, L’Homme le plus paresseux, père de l’artiste ou encore L’Homme le plus faible, père de l’artiste (1995-1996) – insistent plutôt sur les aspects humains, voire fragiles de ce dernier. Une œuvre magnifique, plus tardive (2007), L’Artiste avec son père, est une déclaration de tendresse pudique du fils à son père déclinant. Ailleurs, c’est l’ensemble de la famille qui est mis en scène, avec un beau dialogue muet entre la mère, le père et le fils, trois images séparées et liées à la fois. Visiblement, cette manière de s’inscrire dans le tissu familial a permis à l’artiste d’affirmer son identité car l’exposition propose un nombre important d’autoportraits, pratique avec laquelle il renoue après une longue parenthèse.
Quelques paysages complètent l’exposition qui se termine sur un très vaste diptyque – 400 x 560 cm –, une commande réalisée pendant le confinement et inspirée par la situation actuelle. Dans Pandémie, Pei-Ming exprime son sentiment face à la catastrophe vécue. Une toile sombre et puissante, mais probablement trop explicite, trop littérale, bref une œuvre qui n’évite pas le pathos. Parfois un mot simple sonne plus juste qu’une parole éloquente, un chuchotement pénètre davantage qu’un cri. Face à cet événement terrible, il est préférable d’être dans la demi-mesure que dans la démesure.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°566 du 30 avril 2021, avec le titre suivant : Yan Pei-Ming et ses pères