Parallèlement aux expositions du Musée d’Orsay et du Petit Palais, « Influences, une histoire de l’art au présent », la collection de documentaires diffusés dans l’émission Passage des arts de Claire Chazal, sur France 5, consacre un film au peintre Yan Pei-Ming. L’occasion d’interroger l’artiste sur ses inspirations.
Quelles sont vos influences ?
Au départ, tout m’intéresse. L’influence de l’histoire de l’art est inévitable, on vient toujours de quelque part. Concernant Gustave Courbet, j’aime autant l’homme que l’œuvre. J’ai découvert son travail en Chine dans un livre de propagande en noir et blanc lors de mes premières années d’études. Il était avant tout montré comme un artiste révolutionnaire, son image était très liée à celle de la Commune de Paris, on insistait beaucoup sur l’aspect politique de sa peinture et tout le monde le connaissait, de l’ouvrier à l’artiste débutant. Quand j’arrive en France en 1980, je me rends immédiatement à Paris pour découvrir ses œuvres alors exposées au Louvre. En voyant les grands formats de L’Atelier du peintre et d’Un enterrement à Ornans, j’ai été très impressionné, je pouvais entrer physiquement dans cette peinture.
Hormis les deux cités, j’aime beaucoup aussi Le Sommeil, La Truite, L’Homme blessé, Les Demoiselles des bords de la Seine et L’Hallali du cerf (1867) du Musée des beaux-arts de Besançon. J’ai également vu très tôt cette toile, et son réalisme est stupéfiant ! Les chiens y sont plus vrais que nature, on entre immédiatement dans le tableau et on prend la position du chasseur. C’est grandiose. Ce que j’aime plus que tout chez Courbet, c’est son appétit à peindre. Lorsque l’on m’a demandé d’exposer à Orsay en créant un lien avec une peinture, j’ai choisi Un enterrement à Ornans (1849-1850), car c’était lié à mon histoire personnelle. Dans ce tableau, Courbet dépeint son village, son histoire, ses proches. Au moment où j’ai commencé à travailler à ce projet, ma mère est partie. Elle était à Shanghai, toute sa famille et tous ses amis se sont réunis. J’ai alors compris que la meilleure manière de rendre hommage à Courbet était de peindre mon histoire. C’est ce qu’il a rendu possible. L’enterrement de ma mère est peint à l’échelle exacte de celui d’Ornans, mais la scène se déroule à Shanghai, ma ville natale.
Parce qu’elle est très importante et qu’elle est une source d’inspiration pour moi. Elle m’influence toujours. Elle ne connaissait rien à l’art, mais elle m’a toujours encouragé. C’était une femme ordinaire, mais je l’ai peinte à la même échelle que les icônes du pouvoir politique. La troisième toile figure des montagnes, un paysage idéal, une sorte de paradis. Là où je voudrais que ma mère puisse résider. J’ai vraiment travaillé dans la douleur. J’aurais aimé ne pas avoir à faire cet hommage et que ma mère soit toujours en vie, auprès de moi.
Pour L’Adieu, je me suis documenté ; j’ai 300 photos sous la main, notamment des photos-souvenirs de proches. Je trie, je compose, c’est très autobiographique. Les visages me demandent plus de temps, car je recherche la ressemblance. Sinon, j’attaque la toile directement, sans esquisse préparatoire, au rouleau et à la brosse en la saturant de noir et de blanc, de gris. C’est vivant : je peins, j’efface, je change, je fais corps avec la peinture. Pour réaliser mes grands formats, à l’atelier, je m’aide d’une nacelle avec un bras. J’ai ainsi davantage de recul, ce qui me permet de savoir où je vais tout en étant dans la peinture. Je peins des journées entières : L’Adieu m’a demandé quelques mois, Montagne céleste trois semaines seulement, car sa figuration est plus flottante, glissant vers l’abstraction. Le tableau, au final, est réussi quand la magie de la peinture a opéré.
Chez les modernes, Willem de Kooning : son geste en peinture est très puissant. Chez les classiques, j’apprécie particulièrement le Caravage, Michel-Ange, Raphaël, Titien et Goya. Le vivier des artistes du temps de la Renaissance, notamment à Rome, est impressionnant. Concernant la fresque du plafond de la chapelle Sixtine, peinte par Michel-Ange, je l’ai vue avant et après la restauration. Je préfère maintenant, on la voit comme elle était à l’époque, avec ses couleurs éclatantes, et sans l’aspect sombre qu’elle a longtemps eu à cause des lampes, de la fumée des bougies, etc. Quant à Raphaël, j’ai toujours rêvé de peindre comme lui. Quelle grâce, quelle élégance, sa virtuosité est inégalable. Titien, j’aime sa finesse et le pouvoir qu’il accorde à la couleur. Caravage, j’aime la tragédie dans sa peinture – lui-même est un personnage tragique, c’est un formidable raconteur d’histoires ; j’ai fait en 2015 des réinterprétations de certains de ses tableaux, tels Le Martyre de saint Matthieu et La Vocation de saint Matthieu. J’aime aussi la grande peinture espagnole. Goya est un véritable peintre de matières. Son Tres de Mayo est une peinture magistrale, je l’ai d’ailleurs revisitée, de même que le portrait d’Innocent X par Velázquez, que j’ai découvert en 1983 lors de mon premier voyage en Italie.
Retrouvez sur France 5 le documentaire Yan Pei-Ming, De Ornans à Shanghai (réalisation : Michel Quinejure) de la collection documentaire « Influences, une histoire de l’art au présent » , le samedi 2 novembre à 22 h 25 dans Passage des arts. Ce film est à (re)voir en replay sur le site France.tv
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°728 du 1 novembre 2019, avec le titre suivant : La meilleure manière de rendre hommage à Courbet était de peindre mon histoire