Le Centre Pompidou montre tour à tour le photographe, cinéaste, graphiste, peintre, pour redistribuer les cartes.
PARIS - William Klein est un photographe très renommé, et pourtant, cette restriction professionnelle ne lui sied pas, il n’a cessé de vouloir étendre sa pratique à celle de cinéaste, designer, graphiste, publicitaire… et peintre. Et de fait, il est réellement tout cela… La rétrospective que lui consacre le Centre Pompidou lui permet d’en faire la démonstration, puisque c’est à lui que l’on doit la présentation sélective, ordonnancée, classée, mise en pages et mise en scène, de cinquante ans de travaux marquants. Cependant, fidèle à ses principes, William Klein est toujours « attaché à brouiller les cartes », comme l’indique le texte de présentation à l’entrée de l’exposition. La scénographie est réglée pour mettre en évidence, d’une part la progression biographique et ses orientations successives, d’autre part les interactions entre les activités, qui se font face ou s’imbriquent.
Le jeune New-Yorkais (né en 1928) fait son service militaire en Allemagne, puis séjourne à Paris pour fréquenter l’atelier Fernand Léger. Il devient un peintre abstrait géométrique – et en même temps, un vrai Parisien –, et réalise des abstractions photographiques qu’il fournit à la revue Domus.
Avec ces essais à la marge peinture-photographie (collages typographiques constructivistes très heurtés), placés côte à côte dans l’exposition, on sent qu’il pouvait basculer d’un côté, de l’autre, avec la même liberté. Les rencontres feront le reste : Alexandre Liberman (Vogue) pour le retour à New York et la photographie de mode, Chris Marker pour son premier livre (sur New York, 1956) et, pour le cinéma, Fellini dont il est l’assistant à Rome. Dans chaque domaine investi (comme pour les 250 films publicitaires, de 1972 à 1982), il campe son identité et n’imite pas. Ses photographies coup-de-poing, « action photography », révèlent des univers urbains spécifiques : les lieux, l’époque, les gens, tel le Moscou soviétique de 1959, d’une « mélancolie désespérée ». De manif en pèlerinage, de célébration en enterrement, on retrouve ces shootings en plein visage, très efficaces, et qui ne sont qu’à lui. Il en a conscience lorsqu’il les juxtapose, sur deux grands murs, comme les cartes battues d’un jeu (de société) : l’adieu à Tino, la Gay Pride, le 14 Juillet chez les pompiers, le concours d’élégance à Houston, le KGB sur la place Rouge. C’est du William Klein avant tout, et ça « frappe ».
Prenons les livres, consacrés à des villes et qui font l’objet d’une salle de l’exposition (New York, 1956 ; Rome, 1958 ; Moscou et Tokyo, 1964 ; et Paris, 2002). Construisant lui-même les maquettes, privilégiant la photo sur une double page ou les montages foisonnants, s’occupant de la typo, de l’impression (« je n’aime pas laisser ça aux autres »), refusant tout texte (ou l’expédiant à la fin), il voulait casser la sagesse du « livre de photo », et y réussit très bien ! Reste à savoir si ces « nouveaux objets » permettent encore de regarder des photos, leur fonction première. Symptôme de ce brouillage : c’est dans ce seul espace consacré aux livres que l’on peut voir des tirages originaux – non encadrés cependant, comme suspendus dans le vide.
Du Masaccio en courant
On ne saurait faire grief à William Klein de sa constance dans la transgression (salutaire, cohérente et assumée). En outre, l’homme a un talent pour dire les choses clairement et franchement. Ses « dits » incisifs et précis s’étalent sur les murs de l’exposition, justifiant à la fois le parti pris scénique et l’œuvre qui prend parti. Dans cette confrontation de médiums, deux domaines restent plus difficiles à évaluer : le cinéma et les contacts peints. Depuis Broadway by Light (1958, poème visuel sur les enseignes lumineuses) et Qui êtes-vous Polly Maggoo ? (1966), Klein a beaucoup donné pour le cinéma : une dizaine de longs métrages, qui ont parfois eu de la peine à trouver leur place. La faculté de réaction immédiate du Klein photographe (« Les choses semblent se mettre en place d’elle-même. Je les aide d’un coup de pouce, d’un coup d’appareil ») ne marche plus pour le cinéma, tributaire du temps long d’un plan-séquence ; à moins que le sujet soit indifférent à sa présence et lui échappe en partie : on verra volontiers Muhammad Ali, the Greatest et Grands soirs et petits matins (sur Mai 68). Et surtout, dans un registre pédagogique, le prototype de la série Contacts qu’il proposa au Centre national de la photographie (1986, 15 min), chef-d’œuvre de lucidité sur sa pratique… photographique. Quant aux agrandissements de planches contacts bordés et rehaussés de couleurs vives (depuis 1990), célébration solennelle de la vivacité d’autrefois, et retour à la peinture monumentale de ses débuts, on les confrontera à cette autre citation, en l’espérant convaincante : « J’ai toujours essayé de faire du Masaccio au 125e de seconde. Disons que j’ai toujours considéré que je faisais du monumental en courant ».
Jusqu’au 20 février, Centre Pompidou, place Georges-Pompidou, 75004 Paris, gal. sud, niv. 1, tlj sauf mardi, 11h-21h, tél. 01 44 78 12 33, www.cnac-gp.fr. Catalogue (maquette réalisée par William Klein) coéd. Centre Pompidou/Marval, 2005, 400 p., 100 ill. couleurs, 200 noir et blanc, broché 49,50 euros, relié 70 euros.
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William Klein touche à tout
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissaires de l’exposition : Quentin Bajac et Alain Sayag - 5 sections : Contacts peints ; La mode ; Le livre, la ville ; Photo/graphies ; Photos Cinéma
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°229 du 20 janvier 2006, avec le titre suivant : William Klein touche à tout