MONDE
Au monastère de Brou, la représentation dans les arts du voile fournit d’intéressants témoignages sur ce signe de soumission ou, parfois, de résistance.
Bourg-en-Bresse (Ain). Il n’aura échappé à personne que le voile est un sujet d’actualité. La question du port du hijab, du niqab ou du foulard pour les femmes musulmanes anime depuis une vingtaine d’années dans le débat politique, médiatique et législatif français, ce de manière passionnelle. Pour Pierre-Gilles Girault et Magali Briat-Philippe, « le voile est un sujet brûlant de nos sociétés modernes, sur lequel il est intéressant de prendre du recul pour mieux le comprendre ».
Examiner les différentes variantes du voile dans le temps et l’espace, et le regard porté sur lui par les artistes, c’est le défi que se sont donné les deux gestionnaires du monastère royal de Brou. Car le voile ne peut se résumer à la période contemporaine et à l’islam : ce vêtement souple et non cousu qui couvre la partie haute du corps, et notamment la tête, a traversé les millénaires et les cultures, en particulier au sein du bassin méditerranéen. Revêtu tantôt par les religieuses, tantôt par les veuves ou par les femmes mariées, âgées ou nubiles, ce textile qui dissimule les cheveux est imposé aux femmes comme un signe de soumission et de pudeur (Paul de Tarse réclamait dans son épître aux Corinthiens que la femme voile ses cheveux pour marquer le pouvoir de l’homme sur elle).
Mais le voile a aussi pu être arboré en signe de résistance et de liberté. Son usage est un fait culturel qui a pris de nombreux visages et a grandement intéressé les artistes.
Malgré un sujet si vaste, les commissaires ont fait le choix de l’exhaustivité. Ainsi l’exposition décline-t-elle des tableaux, sculptures et photographies figurant tous types de vêtements couvrants. Dans la section consacrée aux voiles coutumiers (portés au quotidien pour des raisons culturelles, sociales ou conjoncturelles) se côtoient manteau drapé hellénistique, haïk blanc algérien, coiffe traditionnelle de notable bressane, burka afghane contemporaine, voile à la vestale typique des « merveilleuses » du Directoire… Ce mélange fait fi de la chronologie et des aires géographiques, au risque d’une approche superficielle de ces attributs textiles, de leur usage et de leur signification.
En dépit de cette décontextualisation, le rapprochement au sein du parcours de types de voiles très différents fait sens, notamment quand leur représentation semble découler d’une même intention. On lit ainsi dans cette photographie d’Égyptiennes foulardées au travail datant de 1900 une description ethnographique et naturaliste assez similaire à celle qu’offre cette toile figurant une porteuse de lait picarde au fichu de 1893. Ou dans cette mendiante algérienne peinte par un orientaliste la même volonté d’érotisation que dans ce portrait de petite-bourgeoise parisienne au fichu transparent : les voilages dévoilant subrepticement la poitrine mettent finalement tous deux en valeur ce qu’ils sont censés dissimuler.
Mais d’autres sections offrent des associations plus improbables. Ainsi, la séquence intitulée « Dévoilement » s’attache à montrer comment des femmes musulmanes se sont départies de leur voile au XXe siècle dans un geste tantôt revendiqué par elle, tantôt imposé par la puissance coloniale. Les photographies qui les représentent, lourdes de sens politiques, apparaissent très éloignées du « dévoilement » proposé par Jean-Jacques Henner deux tableaux plus loin. On ne comprend pas bien ce que cette Vérité personnifiée par une femme livrant sa nudité au spectateur après être sortie du puits est venue faire là.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°527 du 5 juillet 2019, avec le titre suivant : Une histoire du voile à travers les âges