PARIS
Dans une vaste exposition présentée au Pavillon de l’Arsenal, Philippe Rahm met pour la première fois en exergue les causes naturelles, climatiques ou sanitaires qui ont influé au cours des siècles sur la conception des villes et de leurs édifices.
Paris. Nos miasmes auraient-ils contribué à façonner les villes ? C’est la question à laquelle répond cette passionnante exposition intitulée « Histoire naturelle de l’architecture » et déployée au Pavillon de l’Arsenal, une présentation prévue de longue date qui entre étrangement en résonance avec la pandémie actuelle.
On lit souvent l’histoire de l’architecture comme celle de la ville – à travers des prismes politique, social et culturel. Commissaire scientifique de l’exposition et spécialiste de l’architecture dite « climatique » (lire le JdA no 544, 24 avr. 2020), l’architecte Philippe Rahm incite à scruter les raisons physiques, climatiques ou sanitaires qui ont influencée l’architecture, sinon fondée. De la préhistoire à nos jours, le parcours se décline chronologiquement en 13 sections montrant, par le biais de textes, dessins, photographies et films, comment des causes naturelles, physiques ou biologiques ont joué dans l’élaboration de la forme des édifices et, de façon plus générale, de la ville. Un déroulé étonnant et inédit de l’histoire architecturale.
Air, eau, feu…, les éléments s’invitent continuellement dans cette exposition qui souffle le chaud et le froid. Ainsi, c’est l’épidémie mondiale de choléra s’amorçant en 1816 qui serait à l’origine des grandes transformations urbaines du XIXe siècle. À Paris, lorsque le baron Haussmann fait percer les boulevards, on pense d’abord que le « bon air » qui y circule désormais empêche la propagation des miasmes. On apprendra plus tard que le vibrion cholérique se répandait par l’eau, et que ce sont les égouts enfouis alors sous la chaussée qui en diminuèrent la diffusion.
Se prémunir du froid est un objectif majeur. L’Esquimau construit un igloo à l’intérieur duquel règne un microclimat dont la température peut atteindre 15 °C. Au Moyen Âge, les cheminées des châteaux, aussi monumentales soient-elles, étaient peu efficaces pour le chauffage. D’où cette multitude de tapis de laine pour s’isoler des sols, ces tentures et tapisseries pour diminuer l’émissivité des parois. Les arts décoratifs n’étaient ainsi pas seulement « décoratifs », mais participaient concrètement au confort intérieur. Les humains cherchent aussi à se protéger des fortes chaleurs. Dans la villa Rotonda qu’Andrea Palladio édifie au XVIe siècle près de Vicence (Italie), les habitants se déplacent dans l’espace selon la saison : l’été dans les pièces exposées au nord, l’hiver dans celles donnant au sud. « Cette maison est une véritable machine climatique à brassement d’air et entrée d’air frais au sous-sol », souligne Philippe Rahm. Son dôme central hissé en hauteur permet à l’air chaud de s’élever, ventilation naturelle idoine. Ce sera le cas également, à une échelle monumentale, avec le Panthéon de Rome ou l’Hôtel-Dieu de Lyon.
L’exposition balaye au passage quelques idées reçues. Au XIXe siècle, les grands parcs – Boulogne, Buttes-Chaumont et Vincennes par Adolphe Alphand, à Paris ; Central Park par Frederick Olmsted, à New York – se veulent « des poumons verts pour la ville ». Or, ils le sont bien moins qu’on l’imagine : « En réalité, explique Rahm, il faut 300 arbres pour absorber le CO2 d’une seule personne. Imaginez combien il faudrait en planter pour une ville comme Paris… » Une chose est sûre, toutefois : les nouvelles « forêts urbaines » peuvent aujourd’hui contribuer à abaisser la température des villes. Plusieurs moments historiques sont ainsi rapportés aux enjeux contemporains.
Le plus troublant est d’observer combien d’ingénieuses solutions inventées jadis ont, au fil du temps, été abandonnées. Des solutions sur lesquelles on pourrait, pour certaines d’entre elles, s’appuyer pour affronter les défis environnementaux… Ainsi, climat désertique oblige, les hauts immeubles de terre érigés au XVIe siècle à Shibam, au Yémen, s’habillaient d’un enduit immaculé. Pour parer au réchauffement climatique, la municipalité de New York a décidé de réduire ses émissions de carbone de 80 % d’ici à 2050. Depuis 2017, les agents du programme NYC CoolRoofs sillonnent la Grande Pomme pour en blanchir les toits-terrasses, manière de réduire l’albédo des bâtiments et d’éviter une surchauffe de la ville.
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Une histoire architecturale par les éléments
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°557 du 11 décembre 2020, avec le titre suivant : Une histoire architecturale par les éléments