L’architecte Andrea Palladio fait enfin, en France, l’objet d’une monographie complète et brillamment illustrée.
Bruce Boucher définit très bien dans son avant-propos l’objet de ce livre : hormis l’étude infiniment pertinente mais brève et déjà ancienne de James Ackerman, aucun ouvrage ne donnait au public français une vue d’ensemble sur Palladio, pourtant l’un des plus grands architectes de l’histoire. Le présent livre vient combler cette lacune avec bonheur, l’intérêt du texte étant relevé par les superbes photographies de Paolo Marton, et par ce luxe éditorial auquel la collection « Phares » nous a accoutumés.
L’élite du palladianisme
L’auteur, formé par James Ackerman, Howards Burns et Renato Cevese – autant dire l’élite du palladianisme aujourd’hui –, a bénéficié des recherches menées par le Centro Palladio de Vicence. L’excellence de cette information lui a permis de donner un livre complet et actuel, où l’œuvre de Palladio est présentée selon un plan chronologique, propre à bien faire comprendre à un large public l’évolution du langage architectural palladien. Le premier chapitre, qui traite de la formation du jeune Andrea di Pietro dalla Gondola, bientôt baptisé Palladio par son pompeux mécène Trissino, est de ce point de vue tout à fait passionnant. La description du contexte historique et artistique de la Vénétie, l’évocation des grands modèles romains, Bramante et Raphaël, la mention du rôle de Giulio Romano et de Sanmicheli dans l’Italie du Nord permettent de bien situer à la fois ce que Palladio doit à la Renaissance romaine, et ce en quoi il en diffère : mise au point capitale si l’on veut comprendre la spécificité de sa création.
À partir de là, Bruce Boucher poursuit son enquête, étudiant les premiers palais vicentins, avec une analyse approfondie du plus original, le palais Chiericati, et les premières villas ; il s’arrête assez longuement sur la conception de la Basilique de Vicence, puis s’attache à la description des grandes villas de la maturité. Suit l’examen des églises, projetées ou réalisées, des ponts (chapitre qui met en valeur un aspect parfois sous-estimé de la production de l’architecte). Un chapitre est consacré au traité publié en 1570 par Palladio, les Quattro Libri dell’Architettura, et le livre se conclut sur une étude du dernier style, celui de la Rotonda, de la Loggia del Capitano, ou du Teatro Olimpico. Une importante bibliographie et un indispensable index confirment la valeur scientifique de l’ouvrage.
Quelques réserves
Toutes ces analyses sont très complètes, situant la personnalité des commanditaires, établissant avec le maximum de précision la chronologie de la conception et de la construction. Elles étudient avec pertinence les documents annexes (dessins, gravures des traités, témoignages des contemporains) pour établir les généalogies des projets et indiquer les notables différences constatées entre les conceptions souvent idéales de l’architecte et ses réalisations. Elles sont enfin brillamment illustrées par des photographies en couleurs, aussi plaisantes à l’œil par leur qualité technique qu’agréables à l’esprit par leur pertinence iconographique. Toutes ces vertus rendent ce livre parfaitement recommandable, très utile et fort agréable, parfait compromis entre l’ouvrage scientifique et le livre d’art.
Mais l’on nous permettra de rendre plus flatteurs ces éloges en prenant la liberté de quelques réserves. La traduction d’abord laisse parfois à désirer, surtout lorsqu’il s’agit de termes techniques. Ainsi la "base convexe" de l’ordre ionique de la villa Madame, à Rome (p. 31) devrait être nommée plus proprement "piédestal bombé". Je regrette de même une certaine confusion dans la manière de traiter la typologie des serliennes (le même terme d’"arc serlien" désigne les solutions différentes du projet RIBA XVII/22 pour la basilique, reproduit p. 112, et la composition adoptée finalement), d’autant que ce problème avait été évoqué en 1987 lors du séminaire consacré à Serlio par le Centro Palladio. Et j’avoue ne pas bien comprendre le sens exact de phrases comme, à propos de la façade de la villa Barbaro, "l’inclinaison des volutes sur les colonnes ioniques fait partie du maniérisme de Palladio"…(p. 152).
Plus généralement, on peut reprocher à Bruce Boucher un manque de précision dans l’analyse des décors architecturaux, et particulièrement des ordres. À cet égard, l’analyse du traité de Palladio me paraît beaucoup trop superficielle : la comparaison avec celui de Vignole est trop rapide, et plus généralement, la mise en perspective des Quattro Libri dans l’histoire de la théorie architecturale mériterait d’être reconsidérée. Il manque à l’auteur une information plus complète sur la doctrine vitruvienne, et le problème des ordres en particulier : un commentaire comme celui qui accompagne la planche représentant l’ordre composite (p. 231) est très révélateur de cette faiblesse.
Mais ici parle le cuistre qui sommeille en chaque critique… Ces reproches ne doivent pas dissimuler le grand intérêt que revêt cette publication et le plaisir qu’elle pourra procurer au plus grand nombre des lecteurs.
Bruce Boucher, Palladio. De Venise à la Vénétie, Paris, Citadelles & Mazenod, 1994. 336 p., 28 x 33 cm, 292 pages illustrées, 840 F jusqu’au 30 juin, 1 050 F ensuite.
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Palladio
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°2 du 1 avril 1994, avec le titre suivant : Palladio