La Fondation Beyeler s’offre la quintessence de l’œuvre de Redon, des premiers Noirs mystérieux aux explosions colorées des dernières années, mais peine à faire entendre l’écho de sa modernité.
RIEHEN (SUISSE) - Ernst Beyeler et son épouse n’ont jamais collectionné Odilon Redon (1840-1916). Les toiles et les œuvres sur papier du peintre ont beau avoir transité par dizaines par la célèbre galerie d’art moderne de Bâle, Pierre Bonnard, Henri Matisse, Pablo Picasso, Vassily Kandinsky ou encore Max Ernst avaient les préférences du couple. En témoigne le nouvel accrochage de la collection permanente de la Fondation Beyeler, qui a ouvert ses portes le 22 février face à l’exposition « Odilon Redon ».
La grande rétrospective consacrée au peintre d’origine bordelaise qui s’est tenue au Grand Palais, à Paris, en 2011 est encore fraîche dans les mémoires, aussi le commissaire de l’exposition Raphaël Bouvier se devait de naviguer vers d’autres horizons. D’autant qu’Odilon Redon n’est pas un inconnu pour le public suisse. Sa première rétrospective remonte à la Première Guerre mondiale, au Kunstmuseum de Winterthur. La tradition s’est perpétuée à travers la confédération, en grande partie grâce au couple Arthur et Hedy Hahnloser, collectionneurs effrénés des artistes de la première partie du XXe siècle, dont la Villa Flora à Winterthur est devenue un musée en 1995. Fort de cette familiarité helvète avec l’œuvre de Redon, le commissaire a choisi de lui faire endosser le rôle d’une figure incontournable de la modernité, dont l’influence se retrouve dans la sélection qu’il a faite pour le nouvel accrochage de la collection privée des Beyeler.
Tel est en tout cas le postulat de l’essai du commissaire dans le catalogue qui accompagne l’exposition. De manière plus ou moins documentée, il recense les artistes qui ont puisé dans la source Redon – les mêmes Bonnard, Picasso, Matisse dans les salles à côté... Or, nulle trace ne subsiste de ce bilan dressé par Raphaël Bouvier au sein de l’exposition Redon. Rythmé par les différents thèmes chers à l’artiste (les Noirs, la nature, les bouquets de fleurs, les créatures hybrides, les portraits, la spiritualité, la mythologie…), le parcours passe à côté de son propos. Les textes de salles destinés aux visiteurs préfèrent s’attarder sur les qualités et les évolutions plastiques dans l’œuvre de Redon, sans réel lien avec le contexte de création ou les artistes qu’il aurait pu influencer – à l’exception de Matisse, qui s’était porté acquéreur des pastels Fleur radieuse et La Mort de Bouddha (v. 1899).
De l’obscurité à l’explosion chromatique
Demeure une sélection d’œuvres à la hauteur du prestige de la Fondation et de sa capacité à obtenir des prêts d’importance, le tout accroché avec cohérence et simplicité. Sans surprise, la scénographie met en relief le passage de l’artiste de l’obscurité à la lumière, « de l’inquiétant à la sérénité » et consacre les trois premières salles aux « Noirs », au rang desquels figure la très belle dizaine de lithographies de la série « Dans le rêve » (1879) – l’imaginaire de Redon, le royaume de la tête coupée en apesanteur, est toujours aussi délicieusement troublant. L’accès à la couleur se fait par le pastel, dans les années 1890, et dès lors la logique chronologique s’efface au profit d’un accrochage thématique. L’occasion d’admirer des joyaux sortis de collections particulières suisses, françaises et américaines et des plus grands musées internationaux. L’attrait pour la nature par le petit bout de la lorgnette (Papillons, V. 1910), l’intérêt pour la spiritualité dans toutes les religions (Le Christ en croix, V. 1895), le regard porté vers les anciens (Hommage à Léonard de Vinci, v.1914) ou encore les constructions mythologiques (Le Char d’Apollon, 1905-14) sont autant de pistes dans lesquelles Redon s’est engagé comme pour devenir parfaitement insaisissable. Il est pourtant reconnaissable entre tous.
Présentés à l’entrée du parcours, cinq des quinze panneaux décoratifs de la salle à manger du château de Domecy dans les collections du Musée d’Orsay sont, en définitive, ceux qui rendent compte le mieux du lien entre Redon et Beyeler. Tels de larges fenêtres donnant sur la nature, ces « extraits de paysage » font superbement écho aux larges ouvertures sur l’extérieur qu’offre l’édifice signé Renzo Piano.
Commissaire : Raphaël Bouvier, conservateur à la Fondation Beyeler
Jusqu’au 18 mai, Fondation Beyeler, Baselstrasse 101, Riehen, Suisse, tél. 41 (0) 61 645 97 00, www.fondationbeyeler.ch, tlj 10h-18h, 10h-20h le mercredi. Catalogue, Hatje Cantz (Ostfilldern), 176 p., 127 ill. couleurs, disponible en allemand ou en anglais, avec un tiré à part en français, env. 50 €.
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Un Odilon Redon trop sage
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Abonnez-vous dès 1 €Odilon Redon, La Mort de Bouddha, vers 1899, pastel sur papier, 49 x 39,5 cm, collection Millicent Rogers. © Photo Davis A. Gaffga.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°408 du 28 février 2014, avec le titre suivant : Un Odilon Redon trop sage