MARSEILLE
Se souvenant d’un artiste qui exécrait la culture bourgeoise, la scénographie inventive du MuCEM joue sur le brouillage des catégories et hiérarchies traditionnelles entre les arts.
Marseille. Comment exposer l’œuvre d’un créateur dont la charge joyeuse contre l’« art culturel », est un hymne à une forme de sauvagerie, une invitation à l’insoumission ? Comment montrer un artiste qui n’a jamais voulu se laisser enfermer dans une manière de peindre ?
Pour mettre en scène « Jean Dubuffet, un barbare en Europe », qui réunit, au MuCEM, plus de 290 œuvres et objets issus de grandes collections et musées européens, mêlant arts et sciences humaines, Maciej Fiszer, ancien muséographe au Centre Pompidou, s’est inspiré de Ludwig Mies van der Rohe. À l’image des réalisations de l’architecte constructiviste, il a privilégié une approche minimaliste épurée qui refuse les hiérarchies conventionnelles. Cette volonté de rompre avec l’ordre établi se traduit par des cimaises en mouvement. Dans une première partie célébrant l’homme du commun, le visiteur déambule dans un espace à l’architecture ouverte qui lui permet de se familiariser avec la diversité de la production de Dubuffet. Il est accueilli, à l’entrée, par le Déchiffreur, une toile de 1977 qui dépeint un homme perplexe (l’artiste ?) enfermé dans une bulle, au centre de la toile, au milieu d’un maelström de formes et de motifs enchevêtrés, cherchant à comprendre le désordre qui l’entoure.
Suivent, pêle-mêle, des tableaux peuplés de petits personnages grotesques et rigolards, campés de manière sommaire et enfantine et révoquant la perspective et le modelé traditionnel, parmi lesquels Affluence (1961) ; des paysages urbains et campagnards comme l’étonnant Paysage vineux de 1944, à mille lieux des vues sublimes ou élégiaques auxquelles le public s’est habitué ; des œuvres recourant largement aux graffitis ; et enfin des marionnettes et masques de carnaval, réalisés dans les années 1930 avec Lili Carlu qui deviendra son épouse.
La seconde partie de l’exposition, plus immersive, invite, grâce à une scénographie en forme de dédale, à une participation active du public. Celui-ci est confronté aux sources d’inspiration de l’artiste : objets sculptés en os ou pierre, masques empruntés à des musées d’ethnographie, peintures du Congo ou d’Éthiopie, broderies, dessins ou assemblages de « fous », dessins d’enfants, art populaire. Et il est amené à rechercher lui-même les œuvres qui ont construit Dubuffet. « Ce parcours en zigzag, mettant sur un pied d’égalité tous les objets, subvertit les valeurs, et, jouant sur des cimaises transparentes, encourage à regarder en même temps une peinture, une sculpture ou un dessin, et tout ce qui l’entoure », souligne Maciej Fiszer.
C’est cette même volonté de bousculer le petit monde de l’art et de faire table rase dont témoigne sa collection d’art brut, exposée dans la dernière section, qu’il a réunie à partir de 1945. Autant d’œuvres réalisées par des personnes supposées « indemnes de culture artistique » et qui manifestent, à ses yeux, « l’opération artistique toute pure ».
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°527 du 5 juillet 2019, avec le titre suivant : Un Dubuffet toujours insoumis à Marseille