PARIS
La Fondation Dubuffet fête ses 50 ans en mettant l’accent sur la représentation du visage dans son œuvre.
Paris. Cachée dans un passage du 6e arrondissement, la Fondation Dubuffet reste discrète. Mais pour cette occasion spéciale, son cinquantième anniversaire en l’occurrence, elle a décidé de se mettre un peu en avant. Une salle d’exposition est consacrée à une chronologie visuelle retraçant les cinquante années d’activité de la Fondation. Mais bien entendu, c’est l’œuvre de Jean Dubuffet (1901-1985) qui est au cœur de la présentation, répartie sur trois niveaux. Tâche qui n’est pas aisée car, polymorphe et boulimique, l’artiste est à l’origine d’une production plastique d’une exceptionnelle abondance, avec plus de 10 000 travaux répertoriés.
Sophie Webel, la directrice des lieux, a choisi de mettre en exergue un thème transversal à l’œuvre du père de l’art brut : le visage humain. Le parcours, débutant dans les années 1920, permet de découvrir des débuts étonnamment classiques : le portrait de profil de l’écrivain Georges Limbour (1920) ou, plus tard, Lili style Renaissance (1936). Progressivement, ces visages déformés, tordus jusqu’aux limites de l’informe, se dressent contre l’habitude de conférer à la figure humaine le beau rôle, contre l’importance accordée à la ressemblance. Dubuffet s’attaque à la vision humaniste en lui opposant la dérision, déjà présente dans des titres comme celui de la série « Les gens sont plus beaux qu’ils croient » (1947). Ces portraits de peintres et d’écrivains, souvent des amis de Dubuffet, sont selon lui : « Anti-psychologiques, anti-individualistes […], des futiles accidents – un visage plus gras, un nez plus court – qui peuvent différer d’une personne à une autre » (Prospectus et tous écrits suivants, Gallimard). Utilisé à contre-courant, le « portrait » devient ici un terrain d’expérimentation. Chairs feuilletées (1954), ce visage couvert de matière, n’est qu’un exemple parmi d’autres. Face à l’univers tragique, parfois marqué par le pathos, de Francis Bacon, l’artiste français a fait le choix de l’exubérance forcenée, de l’ironie grinçante qui effleure parfois l’absurde.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°635 du 7 juin 2024, avec le titre suivant : Les anti-portraits de Jean Dubuffet