Sans véritable réflexion esthétique, le volet aixois du « Grand atelier du Midi »
égrène les chefs-d’œuvre dans un parcours chronologique où les peintres se bousculent.
Attirer le plus grand nombre de visiteurs au Musée Granet à Aix-en-Provence et au Musée Longchamp à Marseille : telle est l’ambition de la double exposition « Le grand atelier du Midi », qui s’affiche comme l’événement majeur de « Marseille-Provence 2013, Capitale européenne de la culture ». Les moyens ont été réunis pour présenter les chefs-d’œuvre des artistes ayant parcouru le Midi, des années 1880 à 1960, avec un budget avoisinant les 7 millions d’euros et la collaboration active du Musée d’Orsay et de la Réunion des musées nationaux.
Selon Bruno Ely, commissaire du volet aixois, et Marie-Paule Vial, à la tête de la partie marseillaise, cette manifestation se fonde sur l’équation forme/couleur que les artistes de l’art moderne ont tenté de résoudre, formulant des propositions esthétiques originales. Une thématique plus complexe qu’il n’y paraît pour un sujet traité à travers une cinquantaine d’artistes tout au long d’une chronologie étendue sur quatre-vingt-dix ans. Sur le papier, Aix s’empare de la forme tandis que Marseille célèbre la couleur. Dans les faits, cette construction théorique ne fonctionne pas. Mais cela importe-t-il, tant l’événement mise avant tout sur l’éblouissement du spectateur ?
Le motif du pin
À Aix, Bruno Ely a conçu son parcours de manière chronologique, depuis la figure tutélaire de Paul Cézanne (une évidence à Aix-en-Provence) jusqu’aux gouaches découpées d’Henri Matisse dans les années 1960. D’entrée le décor est planté : le monumental Baigneur au rocher (1860-1869, Chrysler Museum of Art, Norfolk) de Cézanne met en lumière la maturité précoce du peintre, qui structure l’espace de la toile avec une force étonnante. Suivent ces paysages bien connus de la Sainte-Victoire et de l’Estaque. La première salle illustre les liens étroits entre Renoir et Cézanne, entremêlant avec soin paysages et baigneurs et baigneuses des deux artistes.
Dans le catalogue, Bruno Ely signe un texte intéressant sur cette relation intellectuelle peu connue du grand public. Une très belle séquence offre le rapprochement formel de trois tableaux : l’exceptionnel Femme à la cafetière de Cézanne (1895, Orsay), entouré du Portrait d’Albert Marquet de Charles Camoin (1904, Musée Fabre, Montpellier) et du Petit paysan de Modigliani (v. 1918, Tate, Londres), hommages au maître aixois. Le cubisme est évoqué en huit tableaux signés Raoul Dufy, André Lhote, Georges Braque et Leopold Survage, et inspirés par la construction cézannienne aussi bien que par sa palette. Là également, l’accrochage fonctionne en accord avec un propos bien lisible.
Celui-ci se complique au premier étage, où la problématique de départ se révèle impossible à tenir. Les sections enchaînent des thématiques sur un fil chronologique haché, autour d’un Midi à géométrie variable. Ce n’est plus seulement la Provence et la Côte d’Azur, mais également l’Algérie traversée par Matisse et Camoin, Céret, Collioure et la Catalogne peints par Miró, Soutine et Masson. Cette section permet d’exposer l’incroyable Porte-fenêtre à Collioure de Matisse (1914, Musée national d’art moderne). La séquence « Le Midi en motifs » reprend la citation de Cézanne « et moi, j’attendais sous le pin harmonieux » et juxtapose le motif du pin dans cinq toiles de Cézanne, Monet, Guillaumin, Van Rysselberghe et Picabia : le résultat, convaincant, suscite un sentiment de frustration devant cette unique thématique iconographique dans un corpus pourtant riche de motifs. Le « Midi sombre » de Max Beckmann et Victor Brauner produit le premier sentiment d’étonnement dans ce parcours très studieux : Beckmann peint la cathédrale de Marseille en noir et blanc (Kirche in Marseille, 1931, Düren, Allemagne), tandis que Brauner avec son Paysage méditerranéen (1935, Mnam) peint une vision ésotérique et métaphorique inquiétante.
Comme si cela ne suffisait pas, Miró et Dalí sont convoqués dans un « Atelier catalan » bien éloigné du sujet de départ, tandis que l’abstraction des années 1940 est évoquée trop rapidement avec des œuvres figuratives de De Staël, et un très beau Marseille blanc de Maria Vieira da Silva (1931, Baden-Baden). Le mot de la fin est laissé à Picasso : la très belle Femme nue couchée jouant avec un chat (1994, Wuppertal) nous réconcilie avec cet Atelier.
Grâce à la réhabilitation de la chapelle des Pénitents blancs, située à quelques rues, le Musée Granet bénéficie dorénavant d’une surface de 700 m2 pour exposer le cœur de la collection de Jean et Suzanne Planque. La chapelle, bel édifice du XVIIe siècle, était fermée depuis 2001. En 2010, la volonté de la Fondation Planque de déposer une partie de sa collection pour une durée de quinze ans au musée a favorisé la restauration du lieu. Depuis 2011, les travaux ont permis le désamiantage et la démolition des ajouts modernes afin de redonner au lieu sa cohérence et sa sobriété, pour un coût de 5,3 millions d’euros. Exposées il y a deux ans au musée, près de 150 œuvres sont dorénavant accrochées sur les cimaises de la nef et des espaces latéraux dans une scénographie minérale. Le regard exigeant et personnel de Jean Planque sur l’art du XXe siècle trouve ici un écrin de choix.
« Granet XXe, collection Planque », chapelle des Pénitents blancs, place Jean-Boyer, 13100 Aix-en-Provence, tlj 9h-19h.
Commissariat : Bruno Ely, directeur du Musée Granet
Nombre d’œuvres : 90
jusqu’au 13 octobre, Musée Granet, place Saint-Jean de Malte, 13100 Aix-en-Provence, tél. 04 42 52 88 32, www.museegranet-aixenprovence.fr, tlj 9h-19h, le jeudi 12h-23h. Catalogue, éd. RMN-Grand Palais, 304 p., 39 €.
Les articles du dossier : Enquête : Marseille-Provence 2013
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Un Atelier un peu facile
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Abonnez-vous dès 1 €Maria Elena Vieira Da Silva, Marseille Blanc, vers 1931, huile sur toile, 54 x 81 cm, Musée Frieder Burda, Baden Baden - © Photo Museum Frieder Burda, Baden-Baden.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°395 du 5 juillet 2013, avec le titre suivant : Un Atelier un peu facile