TOULOUSE
Après son annulation en 2020, le Printemps de septembre renaît sur « Les cendres de l’hacienda », titre de cette édition anniversaire très inégale.
Toulouse. Il faut profiter de cette 30e édition du Printemps de septembre. Ce n’est peut-être pas le meilleur cru du festival d’art contemporain, d’autant que son format actuel est sérieusement remis en question, la Ville envisageant de réduire de façon drastique ses subventions, entre restrictions liées à la crise sanitaire et « marketing territorial ». Aux manettes en tant que directeur artistique depuis 2016 – après une première collaboration en 2008 –, Christian Bernard, dont c’est la dernière édition. Il a imaginé trois axes afin de structurer un projet contrarié par de nombreux aléas. « Poursuivre et commencer » s’applique aux artistes motivés par des préoccupations esthétiques formelles ; « Le heurt du réel » regroupe des plasticiens inquiets de l’état du monde ; « La folle du logis ou l’insistance du rêve » concerne ceux tournés vers l’imaginaire. Certaines expositions s’adressent davantage aux connaisseurs de l’histoire de l’art, d’autres relèvent de l’évidence esthétique, d’autres encore prétendent offrir un état des lieux de la scène contemporaine. À chacun de faire son « marché » parmi les propositions disséminées dans près d’une trentaine de lieux de la ville rose.
Rive gauche de la Garonne, la promenade commence au Trentotto, censé faire office de bande-annonce. Un mur d’accrochage comporte, à la façon d’une iconostase, une œuvre de la plupart des artistes exposés, de Damien Aspe à Jean-Luc Verna. La vidéo numérique de Clemens von Wedemeyer (70.001, 2019) et la grande toile de Gérard Fromanger (De toutes les couleurs, peinture d’histoire, 1991-1992), chacune liée à un événement historique, sont à l’étroit dans cet espace où elles voisinent avec un plan fixe émouvant de Shiva Khosravi (Don’t let your hair with the wind blow, 2020). Placé en exergue, le portrait de Xavier Douroux par Yan Pei-Ming est un hommage au fondateur du Consortium de Dijon et des Presses du réel, disparu en 2017. Quant à la boîte noire interdite aux moins de 18 ans, consacrée aux visions sadiques d’Antoine Bernhart, sa présence constitue selon Christian Bernard « un miracle » face à une censure institutionnelle implicite. Le dessinateur obsessionnel et sulfureux a déjà été montré par la galerie parisienne Arts Factory.
Non loin de là, l’hôpital de la Grave accueille dans un de ses bâtiments la rencontre de trois artistes pratiquant la sculpture aujourd’hui : Éric Baudart, Chloé Delarue et Gyan Panchal, dont on remarque la structure de trampoline désossée en appui sur le mur : un travail qui met à nu les objets, avec douceur. En chemin, on aperçoit Agoraphobia, de Franz West, objet d’un rejet quasi unanime depuis son installation en 2005. « Toulouse est une ville handicapée sur le plan de la culture », commente sobrement Christian Bernard.
Le parcours se poursuit aux Musée des abattoirs. Mais il y devient alors dense et peu lisible. Au sous-sol, une salle consacrée d’un côté à la peinture spectrale de Miriam Cahn et, de l’autre, à un focus sur l’artiste américain d’origine iranienne Siah Armajani (1939-2020) avec ses œuvres des années 1960 qui entremêlent architecture, poésie et calligraphie. Plus loin, la reconstitution par Michel Aubry du pavillon soviétique, présenté à Paris en 1925, semble posée là sans raison ; elle abrite des éditions ainsi qu’un choix bibliographique des artistes du festival. Dans les étages, l’exposition collective, écrasée par l’absence de hauteur sous plafond, laisse une impression de confusion. Elle s’achève sur la peinture vigoureuse et solaire de Miryam Haddad, que l’on verra cet automne au Frac Auvergne.
Au centre-ville, l’exposition qui occupe le couvent des Jacobins incarne pour les Toulousains la vitrine du Printemps de septembre : beaucoup d’entre eux n’iront voir que cela. Et c’est heureux, car l’installation Pas de deux, proposition de Katinka Bock, est une réussite. Elle se présente comme un duo plastique mettant en regard les œuvres de l’artiste avec une sélection de sculptures de Toni Grand (1935-2005), pour lesquelles elle a conçu de grands chevalets blancs. Grand a marqué les années 1970 par son approche dépouillée et radicale de la sculpture ; Katinka Bock est connue pour ses installations aussi discrètes que discursives, où se dissimule une maîtrise technique virtuose. Elle excelle dans la mise en espace. Ici, son intuition première a été de « résister à la tentation du spectaculaire » dictée par l’architecture sublime du réfectoire du couvent. Pour y loger sa salle de bal, elle a créé un champ énergétique ceinturé par un paratonnerre courant au sol. Une forme chrysalide en résine de Toni Grand, placée en exergue, accueille le visiteur, infléchissant par sa présence étrange la ligne métallique du paratonnerre. À l’intérieur, tout se joue délicatement dans la complicité des formes : elles s’attirent et se tiennent à distance dans une danse immobile qui dilate le temps.
Les œuvres sur papier de Sylvia Bächli à la Fondation de l’espace écureuil, pour leur musicalité silencieuse et les films drolatiques et parfois violents de Pauline Curnier Jardin, à l’Institut supérieur des arts et du design (Grotta Profunda, les humeurs du gouffre, produit pour le Printemps de septembre en 2011 et Fat to Ashes, 2021), font partie des pépites de cette édition inégale mais qui mérite le détour.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°574 du 1 octobre 2021, avec le titre suivant : À Toulouse, un Printemps déroutant