TOULOUSE
En une trentaine d’expositions, le Printemps de septembre se fait le miroir des violences du monde et des multiples rapports de domination.
Toulouse. Que peuvent l’art et les artistes face à la violence du monde ? Telle est la question posée par Christian Bernard, le directeur du Printemps de septembre, pour la nouvelle édition du festival toulousain organisé en biennale depuis 2016. En une trentaine d’expositions réparties dans la ville, 80 artistes tentent de faire entendre leur voix fragile face aux fracas de notre société contemporaine. Conçu par son directeur artistique comme « un archipel d’archipels qui se croisent, se tressent ou avancent en parallèle », le programme dessine des récurrences autour de la notion de domination (qu’elle soit coloniale, sexuelle, économique) avec des échappées plus légères vers l’enfance et le grotesque.
Présentée au théâtre Garonne, In pursuit of Venus (Infected) de la Néo-Zélandaise Lisa Reihana est une œuvre hors-norme, tant par son imposante dimension que par la complexité de son dispositif et l’ambition de son propos. C’est un papier peint panoramique, Les Sauvages de la Mer Pacifique, réalisé en 1804 et célébrant un exotisme colonial riche en pirogues, palmiers et vahinés, qui constitue le support de cette installation filmique. Sur un écran de près de 20 mètres de long, des acteurs en costumes rejouent l’impossible rencontre entre les populations autochtones et les soldats européens. Derrière, des scènes loufoques, un indigène simulant un accouchement, des scènes de libations entre colons et autochtones, le drame semble sur le point d’éclater. Foisonnante et cacophonique, la bande-son participe aussi à cette tension dramatique.
Comme un contrepoint à cette pièce toute en lenteur, Tracey Moffatt propose dans le hall du théâtre, Vigil, une installation vidéo courte mais percutante. La photographe et cinéaste australienne monte en parallèle des plans de cinéma avec des images de catastrophes. Aux expressions horrifiées des stars Elizabeth Taylor, Cary Grant ou Kathleen Turner répondent des séquences bien réelles de noyades d’embarcations de réfugiés. Confort de la fiction d’un côté, horreur de l’actualité de l’autre. Ce sont encore des scènes de combats, des visions de chars d’assauts et d’explosions nucléaires qui constituent la toile de fond de Girls, Ghosts and War, installation vidéo d’Ange Leccia, présentée à la Maison Salvan de Labège. Comme une inéluctable contamination de la jeunesse et la beauté, ces images de la fureur du monde apparaissent en surimpression de portraits de jeunes femmes alanguies à la grâce diaphane.
Parmi les 31 artistes femmes de la sélection, Nina Childress a composé au Musée Paul-Dupuy son exposition avec une sélection de toiles et sculptures dans les réserves du Musée des Augustins. Ces œuvres d’auteurs oubliées voisinent avec les propres toiles de l’artiste et des reproductions de tableaux, dans un accrochage iconoclaste jubilatoire. Un grand portrait de Sylvie Vartan d’inspiration néo-pop fait face à un marbre, allégorie du printemps du sculpteur toulousain Laurent Marqueste (1889). De belles dénudées se jaugent à plus d’un siècle d’écart et un vieux paysan espagnol en prière (Jean-André Rixens, 1881), semble implorer un mamelon charnu accroché à ses côtés. Béatrice Cussol a investi la bibliothèque des Abattoirs avec ses aquarelles, papiers peints, cahiers de collages et romans qui déclinent les multiples représentations du féminin. Les aquarelles sur papier, des sexes aux tonalités rosées, se confrontent aux collages de photos de presse en noir et blanc. L’artiste joue sur la confrontation et la saturation d’images tour à tour drôles, banales, violentes ou sensuelles. L’espace chaleureux et intime des rayonnages fonctionne comme un écrin de choix. Aux multiples fracas du monde, certains opposent enfin le silence ou du bruit imperceptible. En filmant une répétition d’orchestre en langue des signes (Voir ce qui est dit au Quai des arts de Cugnaux), Camille Llobet invite à se concentrer sur le langage du corps. L’artiste libanais Tarek Atoui a, lui, inventé des instruments de musique audibles tant par les sourds que par les entendants. Il propose une nouvelle écoute ne passant pas par les oreilles, mais par le biais du corps et des vibrations. Une expérience exigeante pour rompre avec ses habitudes et ressentir notre monde autrement.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°508 du 5 octobre 2018, avec le titre suivant : À Toulouse résonnent les frêles échos des fureurs du monde