Le festival de création contemporaine installé dans un quartier de la ville est hybride : un parcours aux œuvres participatives et ludiques, et une exposition en musée qui célèbre l’art et la nature.
Toulouse. Il était temps de fixer une date et un lieu définitif pour cet événement qui revient – plus ou moins – régulièrement dans la vie de la ville rose. L’ancien Printemps de Cahors s’est transformé en Printemps de Toulouse, en septembre dernier puis, cette année, il se métamorphose en Nouveau Printemps de Toulouse, espérant que les visiteurs seront suffisamment souples pour suivre ce changement de calendrier.
Cette édition 2023 a été imaginée par la designer Matali Crasset (née en 1965), les organisateurs la présentant comme une « créatrice aux multiples talents, engagée depuis longtemps dans la transition écologique ». Selon eux, « elle développe une approche à la croisée d’une pratique artistique et anthropologique, à la fois joyeuse et politique, qui vise à insuffler un sentiment de communauté et à ouvrir des possibilités ».
Le parcours se concentre sur un quartier central de Toulouse, Saint-Cyprien, où le festival se déploie dans les musées, les jardins, les boutiques. Matali Crasset veut faire participer l’ensemble des habitants du quartier afin d’interroger les liens entre « culture et culture du vivant ». Ce programme, vaste et plutôt imprécis, réunit divers enjeux – habitat, écologie, travail collectif – abordés par des artistes venant de nombreuses disciplines. Une approche, certes, ouverte sur la culture et le monde, mais au risque d’une certaine confusion.
La visite peut commencer par les sept maquettes réalisées par Matali Crasset et présentées à la galerie municipale du Château d’eau. Construites durant le confinement, ces propositions d’habitat cherchent à rompre l’isolement qui a été imposé par la pandémie, mais également à remettre en question le rôle de la maison en tant que cocon protecteur, isolant du reste de la société. L’artiste reprend la même idée au Musée des Abattoirs, non loin de là, en introduisant des éléments perturbateurs dans une pièce, créant ainsi ce qu’elle nomme « une situation d’inconfort ». Une de ses maquettes, le « Moulin à Nef de la Garonne » [voir ill.], agrandie et placée dans le jardin Raymond VI, a rapidement été adoptée par les enfants comme un terrain de jeux. Ces derniers ont droit à une distraction supplémentaire : des drapeaux colorés, recouverts de personnages qui semblent sortir d’une bande dessinée, peints par Pierre La Police.
L’œuvre installée dans le jardin des herbes de Sainte-Monique, dans une cour de l’hôpital de la Grave est d’une tout autre nature. Conçue par les étudiants de l’École nationale supérieure d’architecture (Ensa) en collaboration avec les rares patients encore traités ici, une structure circulaire, une sorte d’agora, permet une rencontre et un échange. Malgré un intéressant effort de rapprochement social par l’art, on regrette l’aspect peu imaginatif de cette construction rudimentaire.
À quelques pas de là, dans le réfectoire de l’hôpital, trois artistes norvégiennes proposent un regard décalé sur l’histoire et la culture de leur pays. Ainsi, Marianne Heske (née en 1946) reprend les clichés norvégiens – quelques restes d’un bateau, une immense photographie ancienne d’un fjord avec une femme dans une barque. De son côté, Frida Orupabo (née en 1986) crée des collages qui rappellent le rôle peu glorieux de sa patrie dans le commerce esclavagiste.
Sans quitter l’hôpital, le visiteur arrive à la chapelle de la Grave avec son dôme impressionnant. Dans ce cadre, la plasticienne Camille Grosperrin (née en 1988) et le musicien Julien Desaill ont réalisé une installation sonore intitulée « Les Invisibles ». Cette structure en bois abrite des céramiques aux motifs liés à la faune et à la flore locales. Ce sont ces éléments, mis en mouvement, qui génèrent les sons.
La visite se poursuit – à pied ou à vélo tellement les distances sont courtes –, dans un autre bâtiment toulousain remarquable, le Théâtre Garonne. Dans cette magnifique galerie souterraine, Julien Carreyn (né en 1973) a accroché avec soin de minuscules polaroïds sur les murs épais. Intitulée « Les Citrons du Tarn », cette série de clichés forme le récit d’une journée, réelle ou imaginaire, que l’artiste a passée avec des amies dans ce département limitrophe. Mais cette tentative de créer une mythologie personnelle, voire intime, demeure beaucoup trop anecdotique pour toucher la sensibilité des visiteurs.
C’est en arrivant au Musée des Abattoirs que l’on distingue clairement la nature contrastée du Nouveau Printemps. D’une part, on trouve des travaux dispersés dans la ville, qui cèdent souvent la priorité à l’aspect participatif, parfois au détriment de l’invention plastique. D’autre part, préservées dans un écrin muséal, les œuvres – et ce n’est pas un hasard – privilégient nettement une démarche esthétique, sans pour autant renoncer à un engagement sociétal. C’est avant tout l’écologie qui préoccupe les artistes femmes exposées ici. Si l’on connaît, depuis 1970, le land art de proximité de Marinette Cueco (née en 1934), ses entrelacs – des assemblages tissés avec des fibres végétales – procurent toujours le même enchantement. Dans une autre salle, l’œuvre de Cornelia Hesse-Honegger (née en 1944) est une véritable découverte. Ses dessins, d’un raffinement extrême, qui représentent des insectes vivant à proximité des centrales nucléaires et leurs mutations, sont à la fois fascinants et effrayants. Ainsi, il est possible de donner l’alerte, sans sacrifier la beauté.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°614 du 23 juin 2023, avec le titre suivant : Le Nouveau Printemps de Toulouse, un parcours bipolaire