PARIS
Le sculpteur anglais qui bénéficie d’une rétrospective au Musée d’art moderne de la Ville de Paris s’est imposé sur la scène mondiale. Si ses figures humaines sont impressionnantes, son œuvre est de qualité inégale.
Paris. Rarement un artiste aura accédé avec une telle rapidité à une telle reconnaissance. Les commentateurs de l’œuvre de Thomas Houseago accordent au moins autant d’importance à l’homme – géant aux cheveux roux, force de la nature, sauvage, pratiquant la performance sur un fond de musique rock, ayant travaillé comme maçon à Hollywood pour subvenir à ses besoins – qu’à sa production plastique.
Méconnu en France, même si François Pinault l’a intégré tôt à sa collection, et si le Centre international d’art et du paysage de Vassivière (Limousin) l’a exposé en 2011, Houseago a eu droit dans le catalogue de l’exposition non seulement à une préface extrêmement élogieuse signée Anne Hidalgo, mais encore à de petits textes rédigés par David Hockney et aussi Brad Pitt que l’on ne savait pas spécialiste de la sculpture.
Devant la belle rétrospective organisée par le Musée d’art moderne de la Ville de Paris, la question se pose : sommes-nous en présence d’un sculpteur majeur ? La réponse est « oui, peut-être ». De fait, impossible ne pas être impressionné par la statue monumentale (Striding Figure II (Ghost), 2012) posée dans le bassin de l’esplanade du musée. Cette figure menaçante en métal, mi-pleine, mi-vide, est un clin d’œil à la tour Eiffel qui lui fait face. Située de façon naturelle extra-muros, ce « fantôme » accentue l’importance du rapport essentiel de la sculpture à l’espace, la résonance entre celle-ci et son milieu.
De même, l’œuvre s’inscrit dans la thématique principale de Houseago, la représentation de l’être humain. Sujet omniprésent, traversée par la ligne de démarcation entre une sculpture moderne encore inscrite dans la tradition humaniste et celle qui commence à en faire le deuil avec un corps perdant son enveloppe et se divisant en fragments. À l’instar de Moore, Giacometti ou plus tard de Georg Baselitz, Markus Lüpertz ou A. R. Penck et leur brutalité néo-expressionniste, l’artiste anglais considère la sculpture comme une méditation sur le corps. Il semble que la sensualité de son travail, ce croisement entre touchant et touché, doive en passer par la figure humaine.
Cette dernière, en toute logique, ouvre le parcours. Tourmentée, parfois décharnée, lacunaire et évidée selon les humeurs de Houseago, elle n’est plus celle qui maîtrise le monde. Ici la figure humaine subit. Non sans résister : L’Homme qui marche (1995), à l’opposé de celui de Giacometti, se fraie un chemin sans hésiter, en un formidable geste puissant, écho lointain de Rodin ou d’Umberto Boccioni. Ailleurs, Serpent (2005) est un bel exemple de la faculté de l’artiste à assembler différents matériaux – essentiellement bois, plâtre et métal – pour aboutir à un métissage entre l’homme et le reptile. Cette expérimentation autour de formes hybrides prend des allures moins convaincantes quand, à l’aspect inachevé et heurté, se substituent des surfaces lisses – Bottle Head (2010) ou Untitled (Egg) [2015] –, des travaux d’inspiration biomorphique, sans toutefois la délicatesse et l’aspect sophistiqué de cette tendance esthétique.
Moins convaincantes aussi sont les étranges compositions abstraites évocatrices d’un Art déco ici privé de son architecture. On reste de même perplexe en présence de la sculpture-performance que Houseago a réalisée spécialement pour l’exposition. L’œuvre, monumentale, intitulée Cast Studio (stage, chairs, bed, mound, cave, bath, grave) [2018], remplit ici une salle entière. À partir de l’argile humide et molle, cette matière ductile et docile que l’artiste va malaxer avec son corps et qui finit par s’endurcir, apparaissent les formes de divers meubles peuplant son atelier. Faut-il y voir une régression aux activités enfantines des pâtés de sable, ou bien une volonté de retrouver l’enfance de l’art, comme une prolongation de la visée primitive-utopique caractéristique de l’art contemporain ?
Quoi qu’il en soit, cette sculpture-performance, qui n’est pas sans rappeler la performance de Miquel Barceló associé au choréraghe Josef Nadj (Paso Doble, 2006), impressionne par ses dimensions démesurées plus que par son expressivité. Comment expliquer la qualité inégale de cette rétrospective, cet éclectisme étonnant ? Citons deux phrases du catalogue, qui tentent de définir cette approche. Pour Penelope Curtis, directrice du Museu Calouste Gulbenkian à Lisbonne, « il est vain de vouloir briller en identifiant les sources d’inspiration de Thomas Houseago, car elles sont aussi nombreuses que présentes. Il n’a pas honte […] qu’on puisse les reconnaître ». Et l’historien Rudi Fuchs de remarquer : « Thomas Houseago a travaillé dur pendant vingt-cinq longues années pour produire des sculptures qui ne ressemblent pas à celles de Carl Andre ou de Bruce Nauman. » Autrement dit, entre tradition et négation de la tradition, mais également entre sauvagerie et maîtrise, l’homme n’a pas encore choisi. Il n’en reste pas moins que L’Homme pressé (2010-2011) – un autoportrait déguisé ? –, d’une énergie débordante, ou Wood Skeleton I (Father) [2018], ce terrible « gisant » taillé en bois, dont le visage est marqué par le rictus de la mort, sont les promesses d’un futur artistique que l’on a hâte de découvrir.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°523 du 10 mai 2019, avec le titre suivant : Thomas Houseago est-il un artiste majeur ?