Histoire de l'art - Photographie

Surréalisme subversif ?

Par Gisèle Tavernier · Le Journal des Arts

Le 10 novembre 2009 - 731 mots

Le Centre Pompidou, à Paris, met en scène images inédites, Photomaton, collages, publications et publicités, autant d’utilisations faites de la photographie par les surréalistes

Restée en sommeil jusqu’en 1986, l’étude de la photographie dans le mouvement surréaliste avait été inaugurée par l’exposition « Explosante fixe » des historiennes d’art Rosalind Krauss et Jane Livingstone, déjà au Centre Pompidou. Aujourd’hui, en neuf concepts clés et près de 400 œuvres servies par une scénographie qui joue des motifs de l’œil et des miroirs déformants, l’exposition « La subversion des images – Surréalisme, photographie, film » reprend le titre d’une série du surréaliste belge Paul Nougé. Elle recense les usages protéiformes de la photo qu’en ont fait le groupe réuni autour des fondateurs André Breton et Philippe Soupault pendant les années 1920-1940. Cet intérêt tardif résulterait d’une lacune. « Les surréalistes, fascinés par la photo, l’ont collectionnée, publiée, en ont eu la pratique à côté de la peinture et de la sculpture. Cependant, André Breton l’a peu théorisée », argue Clément Chéroux, co-commissaire de l’exposition justifiée par des corpus inexplorés. Outre la collection de portraits Photomaton d’André Breton et son rare manuscrit Arcane 17 illustré de photos prises par sa femme, se remarquent des photocollages méconnus de Paul Éluard comme les séries Aléatoires d’Artür Harfaux.

Le parcours réunit des images plus attendues, telles que Le Violon d’Ingres de Man Ray, artiste omniprésent, Les Jeux de la poupée de Hans Bellmer, les autoportraits ambigus de Claude Cahun ou les Graffitis de Brassaï. Toutes visent, à la suite de Dada, à renverser les données du réel. De l’action collective en passant par le théâtre sans raison, l’anatomie d’une image ou la pulsion scopique, des chapitres ponctués de films de Germaine Dulac ou Roger Livet passent en revue les thèmes du fortuit, de l’absurde, de la poésie urbaine, de l’informe et de la beauté convulsive. De Paris à Prague, de Mexico à Tokyo, des insurgés amalgament le « changer la vie » de Rimbaud, le « beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie » de Lautréamont, les écrits cruels de Sade, la découverte de l’inconscient par Freud et les dogmes de Breton. Les pratiques apparaissent tantôt ludiques tantôt expérimentales, avec le brûlage de négatifs par Raoul Ubac, les photogrammes et les distorsions de nus féminins par André Kertesz, les solarisations, les dédoublements, les gros plans d’objets et d’insectes aussi fameux que le Portrait d’Ubu par Dora Maar. Ce chaos visuel inventif s’illustre dans les revues phare La Révolution surréaliste, Le Minotaure ou Documents. Subvertie, l’image change de sens. « Le document d’Atget devient un exemple de l’inquiétante étrangeté de Freud », note Quentin Bajac, co-commissaire de l’exposition, dans le catalogue qui est enrichi d’une anthologie des textes surréalistes.

Pas de confrontations
Restreinte à l’histoire d’un mouvement qu’agitent la crise dogmatique de 1929 et la crucifixion photographique vengeresse du pape Breton par le dissident Georges Bataille, « La subversion des images » se focalise sur les usages de la photo par les surréalistes au point d’éluder délibérément de les confronter à la Nouvelle Objectivité allemande et la Straight Photography américaine qui regardent la réalité pure en face, quand les voyants-voyeurs surréalistes créent les yeux clos. Décontextualisées, certaines images de l’entre-deux-guerres ont une lecture tronquée. Alors que la femme garçonne s’émancipe, son pendant cagoulé, enchaîné, devient obscur objet d’un désir devant l’objectif obsessionnel de Jacques-André Boiffard en 1930.

Le parcours, qui donne sa place à un mouvement majeur de l’histoire de l’art et de la photographie du XXe siècle, s’achève sur le constat sec de sa récupération mercantile par la publicité des années 1940. « C’est par la force des images que, par la suite des temps, pourraient bien s’accomplir les vraies révolutions », prophétisait Breton avant les happenings et performances des années 1960-1980. De Jean-Jacques Lebel (lire p. 13) à Duane Michals, de Joan Fontcuberta à Nobuyoshi Araki, des Blume à Erwin Wurm, l’esprit surréaliste perdure jusque dans l’exposition concomitante « elles@centre pompidou », lorsque Annelise Strba met à distance le réel en déclarant : « Quand j’appuie sur le déclencheur, je ferme les yeux. »

LA SUBVERSION DES IMAGES – SURRÉALISME, PHOTOGRAPHIE, FILM, jusqu’au 11 janvier 2010, Centre Pompidou, place Georges-Pompidou, 75001 Paris, tél. 01 44 78 12 33, www.centrepompidou.fr, tlj sauf mardi 11h-21h. Catalogue, éd. du Centre Pompidou, 480 p. 450 ill., 44,90 euros, ISBN 978-2-84426-390-2

LA SUBVERSION DES IMAGES
Commissaires : Quentin Bajac et Clément Chéroux, conservateurs au Musée national d’art moderne, cabinet de la photographie
Nombre d’œuvres : près de 400
Nombre de salles : 9
Scénographie : Laurence Fontaine
Mécène : Groupe Devoteam

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°313 du 13 novembre 2009, avec le titre suivant : Surréalisme subversif ?

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