La biennale africaine de la photographie, qui se tient à Bamako au Mali, explore les frontières sociales, culturelles, économiques et philosophiques du nord au sud du continent
Un jeune homme perché au sommet d’un bloc de béton, au bord de la mer, regarde passer au loin un tanker. Nous sommes à Bab-el-Oued, le quartier pauvre d’Alger, là où les jeunes se réunissent pour scruter au loin leur désir d’avenir. Cette image de Kader Attia est l’icône des « Rencontres de Bamako 2009 », la biennale africaine de la photographie. La manifestation, lancée en 1994 avec l’aide de fonds français, a pris cette année une nouvelle envergure. À sa tête, le délégué général du festival, Samuel Sidibé, directeur du Musée national du Mali, a accueilli deux nouvelles directrices artistiques, Michket Krifa et Laura Serani. Ces dernières ont choisi de prendre pour thématique « les frontières ». « La question des frontières, écrivent-elles dans le catalogue, demeure éminemment actuelle et paradoxale dans un monde où, d’une part, on proclame et pratique la disparition des frontières mais, d’autre part, on érige des murs pour les protéger. En effet, la globalisation et le libéralisme économique ont imposé la porosité de certains territoires, mais ils n’ont pas empêché, par ailleurs, la multiplication des mesures dissuasives et répressives pour contrer les flux migratoires dictés par d’autres impératifs. » Ces problématiques centrales dans nos sociétés d’aujourd’hui ne sont cependant traitées qu’à la marge au sein de la biennale dans laquelle nombre de photographes explorent d’autres frontières, sociales, culturelles, économiques, philosophiques ou métaphoriques. Emblématique à plus d’un titre est certainement le travail de Bruno Boudjelal, Français d’origine algérienne, qui emmène les visiteurs sur les routes de l’Afrique, dans une traversée du nord au sud, de Tanger au Cap. De l’autre côté des frontières, Mohamed Bourouissa (Algérie-France) explore le monde des bandes de fils d’immigrés dans les banlieues françaises, par des compositions savamment construites.
Les artistes originaires du Maghreb ont, cette année, une place de choix dans la biennale. Ainsi des arabesques « familiales » de Mouna Jemal Siala (Tunisie), de L’Histoire de l’histoire de Mounir Fatmi (Maroc), des mots qui se diluent dans l’eau d’une baignoire par Ismail Bahri (Tunisie), des femmes voilées de Majida Khattari (Maroc), des étranges transes de Faten Gades (Tunisie), ou des tombes habillées par Lilia Benzid (Tunisie). À la galerie de l’Institut national des arts, Hassan Hajjaj expose un pop art à la sauce marocaine, avec de très séduisants cadres en boîtes de Coca-Cola ou en pneus, et ses images d’un monde arabe qui n’a pas pu résister à la déferlante des marques.
La photographie malienne contemporaine n’a pas été oubliée avec, au Palais de la culture, les images d’Amadou Keita, Alima Diop, ou Mamadou Konaté. Plus politiques, de nombreux photographes d’Afrique noire pointent la violence et la misère sur le continent. On retiendra par exemple les maisons cassées d’Armel Louzala (République démocratique du Congo), les bidonvilles d’Uche Okpa Iroha (Nigeria), les passeurs d’Aboubacar Traoré (Mali), ou les réfugiés de guerre par Karel Prinsloo (Namibie).
Si la scénographie, signée Joël Andrianomearisoa, est particulièrement soignée, c’est au Musée national du Mali que sont proposées quelques-unes des plus belles rencontres. Ainsi les grands totems photographiques de l’Italienne Patrizia Guerresi Maïmouna viennent dialoguer avec les chefs-d’œuvre d’arts rituels du Mali, et l’étonnante série S.A.P.E, personnages endimanchés au Congo par Baudouin Mouanda, trouve toute sa place dans la section « textiles » du musée. À côté, Malick Sidibé expose ses portraits réalisés au printemps pour le New York Times en regard des tissus qui lui servent de fond. Cette dernière présentation vient s’inscrire dans une série d’hommages rendus à des pères de la photographie africaine. Au Musée du district, le Sénégalais Oumar Ly offre des portraits saisissants, réalisés dans son studio de village, tandis qu’au Palais de la culture, le visiteur est plongé dans un bain de nostalgie avec les photos de Jean Depara (Angola). Des images d’un bonheur qui semble définitivement appartenir à une autre époque.
8e RENCONTRES DE BAMAKO, jusqu’au 7 décembre, divers lieux, Bamako, Mali, www.rencontres-bamako.com. Catalogue.
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Au-delà des frontières
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Délégué général : Samuel Sidibé
Directrices artistiques : Michket Krifa et Laura Serani
Scénographie : Joël Andrianomearisoa
Nombre d’artistes : 75
Budget : 900 000 euros
Principaux financeurs : ministère de la Culture du Mali, CulturesFrance, Union européenne
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°313 du 13 novembre 2009, avec le titre suivant : Au-delà des frontières