La foire Paris Photo, qui se tient du 19 au 22 novembre, se met à l’heure iranienne et arabe - Loin des clichés, les artistes délivrent messages politiques et intimistes
Lors d’un discours mémorable au Caire le 4 juin 2009, le président américain Barack Obama s’est attaqué aux représentations caricaturales de l’Islam, soulignant au passage l’apport du monde arabe à la culture universelle. À une échelle plus modeste, tel est aussi le propos de la nouvelle édition de Paris Photo, qui braque son projecteur sur la photographie iranienne et arabe. « Nous voulons montrer qu’il y a une fascination et une prolifération des images dans le Moyen-Orient, indique Guillaume Piens, commissaire du salon. Cette scène a toujours été absente alors que, paradoxalement, dès l’invention de la photographie, le Moyen-Orient est apparu comme un terrain d’expérimentation. Il y a eu un attrait pour les découvertes archéologiques et les lieux bibliques, mais aussi pour la lumière. » La méconnaissance de cette scène n’est pas tant liée aux supposés interdits religieux qu’à la négligence des pays arabes pour leur patrimoine photographique, combinée au manque de curiosité des Occidentaux passé la vague orientaliste du XIXe siècle. Ainsi, comme le rapporte Maria Golia dans son livre Photography and Egypt, les historiens ont cessé de regarder ce pays « au moment où les Égyptiens ont cessé d’être uniquement des sujets d’images photographiques pour commencer à en être les auteurs ». Utilisé pour édifier une image moderne de la nation, ce médium est aussi perçu comme un support gênant d’informations qu’il faut contrôler ou détruire. D’où des chaînons manquants pour la compréhension de cette photographie que l’exposition conçue par Catherine David, commissaire invitée du salon cette année, tentera de combler à partir des archives de la Fondation arabe pour l’image à Beyrouth.
Mémoire et identité
Même si de nombreux artistes reproduisent un certain néo-orientalisme pour nourrir le désir d’exotisme des Occidentaux, la plupart de ceux qui sont exposés sur Paris Photo refusent pathos et pittoresque, offrant une vision à rebours des clichés. Alors que la télévision ne donne de l’Irak que des images de familles meurtries ou de prisonniers humiliés, l’artiste irakienne Farah Nosh, montrée par The Empty Quarter (Dubaï), se concentre sur des scènes familiales intimes et chaleureuses. Le touriste lambda perçoit souvent le Maroc comme un pays chamarré et grouillant. Or, Yto Barrada offre une image dépouillée, presque immobile de Tanger. Représentée par Polaris (Paris), elle énonce plus qu’elle ne dénonce, explore avec douceur les mutations de sa ville, ses laissés-pour-compte, « ses vies pleines de trous », les tentations de migration et le mirage de l’Occident.
Les questions de mémoire et d’identité imprègnent le travail des artistes libanais. « Qu’est-ce qu’être Libanais ? Qu’est-ce qui fait notre différence par rapport aux forces colonisatrices ? Pendant longtemps, les Libanais n’ont pas eu d’autonomie visuelle ou culturelle. Nous apprenions le français avant l’arabe », rappelle la galeriste Andrée Sfeir-Semler (Hambourg, Beyrouth). Sur son stand, Akram Zaatari réévalue la mémoire collective, en piochant notamment dans le fonds de la Fondation arabe pour l’image, tandis que Walid Raad crée des documents de toutes pièces, joue de la fiction pour mieux restituer le réel. La notion de territoire domine l’imaginaire des créateurs palestiniens. La B.A.N.K (Paris) présente ainsi des photos issues de la vidéo Space exodus de Larissa Sansour. Sur ces images, l’artiste en tenue de cosmonaute plante le drapeau palestinien sur la lune, en mimant les gestes de Neil Armstrong. Dans la série Irrational, montrée par la galerie Selma Feriani (Londres), Rula Halawani dénonce les changements qu’a connus le paysage de son enfance au gré de l’implantation des colonies israéliennes.
Instrumentalisation
Moins qu’un message politique, c’est un esprit intimiste qui infuse le travail des artistes du Maghreb. « La Tunisie et le Maroc ne subissent pas l’oppression propre au monde arabe. C’est vrai que, pour eux, il est plus difficile de s’imposer, car ce qu’ils montrent n’est pas aussi attractif pour les Occidentaux », remarque Lila Ben Salah, directrice de la galerie El Marsa (Tunis). Elle expose la Marocaine Lamia Naji et son travail pudique où l’absence de l’être aimé est signalée par un oreiller vide. La Tunisienne Raja Aissa, déployée par Selma Feriani, est pour sa part pétrie de philosophie soufie. Avec ses corps nus nimbés de fumée, elle explore les frontières entre le visible et l’invisible, le profane et le sacré.
Instrumentalisée au plus haut sommet de l’État, la photographie iranienne s’adosse pour sa part à une histoire vieille de cent soixante-cinq ans. Introduite par le shah Nasser Ed-Dir, qui créa une galerie de photos au sein du palais du Golestan, la photo s’épanouira dans de nombreux studios privés. De son côté, la révolution islamique de 1979 a donné du grain à moudre au photojournalisme. « La photographie a pris un essor en Iran au cours des quinze dernières années, avec l’ouverture de plusieurs galeries après l’élection de l’ancien président de la République, Mohammad Khatami », complète Simin Dehghani, directrice de la galerie Assar (Téhéran). La relation à l’image, d’ordre souvent métaphorique, s’appuie aussi sur la tradition de la miniature persane. Ainsi Bahman Jalali, présenté par Silk Road (Téhéran), se nourrit des fonds de clichés de l’époque Qadjar (1781-1925) et superpose plusieurs mémoires. Sa célèbre photo Red combine le portrait d’une voluptueuse Iranienne du début du XXe siècle, pris par le studio Chehrehnama à Ispahan, avec l’image d’un grand trait rouge marqué sur sa devanture fermée voilà quelques années. Ce qui pourrait passer pour de la calligraphie n’est en fait que la réprobation violente d’un anonyme qui n’appréciait pas les photos de femmes dévoilées.
Un marché naissant
La diaspora iranienne compte deux artistes remarquables, Reza Aramesh, présenté par B21 (Dubaï), et Mitra Tabrizian, à l’affiche chez Caprice Horn (Berlin). Le premier s’inspire des scènes de guerre capturées dans la presse, qu’il reconstitue sous forme de tableaux vivants dans des lieux muséaux, comme la Wallace Collection (Londres). Dépouillés de leurs uniformes et de leurs armes, les comédiens restituent les gestes de soumission sans outrance, dans un jeu proche des films de Robert Bresson ou de Rainer W. Fassbinder. C’est plutôt du côté de l’esthétique glacée de Michelangelo Antonioni que penche Mitra Tabrizian avec ses photos montrant l’aliénation dans le monde de l’entreprise. Elle pointe tout autant du doigt la solitude et la surveillance des Iraniens, presque immobilisés dans une société en stand-by.
Une fois n’est pas coutume, les spécialistes du XIXe siècle et les tenants de la photographie moderne ne vont pas se sentir isolés ou submergés par le thème de l’année. Ces derniers entrent aussi dans la danse, avec les photos de Gustave Le Gray en Égypte chez Baudoin Lebon (Paris) ou la série Persia de Horst P. Horst apportée par un nouveau participant, Konrad Bernheimer (Munich). Il est clair que, grâce au regard intransigeant de Catherine David, la plateforme dédiée à l’art iranien et arabe évitera le frelatage de la plupart des expositions sur le sujet. « Il y a un risque d’inflation qui peut brûler les artistes. Il n’y en a pas beaucoup d’intéressants et ils ne peuvent pas produire au rythme qu’on leur demande, met en garde Andrée Sfeir-Semler. Il ne faut pas non plus être grisé par le phénomène. On doit garder les pieds sur terre en termes de prix. » Ce d’autant plus que le marché n’en est qu’à ses balbutiements, selon le collectionneur saoudien Omar Al-Farisi. Pour Nathalie Locatelli, directrice de la galerie 127 (Marrakech), « l’avenir de la photographie au Maroc repose en partie sur la crédibilité que lui accorderont les institutions, les formations, l’implication des mécènes tant dans le secteur public que privé ». Le tout sans que les initiatives se neutralisent. Comment Paris Photo réagit-il au fait qu’Abou Dhabi lance sa foire (lire p. 25) au même moment, mobilisant ainsi une partie de la clientèle moyen-orientale qui aurait pu venir à Paris ? « Je ne peux que le regretter, déclare Guillaume Piens. Abou Dhabi aurait mieux fait de créer un pont avec nous. Les grands collectionneurs libanais et iraniens vont venir chez nous. Pour le monde arabe, il y a une fierté d’exposer à Paris Photo, qui est une instance de légitimation. Nous risquons de ne pas avoir des gens d’Abou Dhabi, mais Abou Dhabi n’est pas le seul pays arabe. »
Abondance de projets
Les projets spéciaux priment chez les galeries qui ne se sont pas mises au parfum oriental. Françoise Paviot (Paris) réunit des images sur le thème de l’art et de la science, tandis que, pour sa première participation, Patricia Dorfmann (Paris) promet une exposition intéressante autour de la performance et du corps, avec notamment Hamish Fulton et Michel Journiac. Obsis (Paris) montre les travaux de cinq femmes photographes de plateau pendant que Pobeda Gallery (Moscou) fait redécouvrir les photographes russes des années 1960 à 1980, témoignage précieux de la guerre froide. Enfin, Priska Pasquer (Cologne) met les femmes à l’honneur.
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Fascinations orientales
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Abonnez-vous dès 1 €PARIS PHOTO, du 19 au 22 novembre, Carrousel du Louvre, 99, rue de Rivoli, 75001 Paris, www.parisphoto.fr, les 19 et 21 11h30-20h, le 20 11h30-22h et le 22 11h30-19h
PARIS PHOTO
Commissaire : Guillaume Piens
Nombre d’exposants : 102
Tarif des stands : 357 euros le m2
Nombre de visiteurs en 2008 : 38 900
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°313 du 13 novembre 2009, avec le titre suivant : Fascinations orientales