AMBOISE
Léonard de Vinci n’a eu de cesse d’étudier la nature. Il a aussi manifesté un vif intérêt pour l’odorat et l’élaboration des parfums. C’est ce que révèle l’exposition du château du Clos Lucé, à Amboise. Retour sur les senteurs humées par le peintre à une époque où les parfums deviennent de plus en plus prisés.
Vinci, en Toscane,1542. Une jeune femme berce tendrement un bébé, avec un sourire d’une infinie douceur. L’enfant est le fils qu’elle a eu avec un notaire florentin. Ce dernier a décidé d’installer sa jeune maîtresse et leur fils dans ce village où vivent ses parents et son frère : c’est là, au milieu des oliviers, des coquelicots qui fleurissent encore aujourd’hui, des odeurs de sauge, de laurier, de romarin et d’orangers que grandit l’enfant. Il deviendra un des génies de la Renaissance : le grand Léonard (1452-1519). « Ces odeurs imprègnent son enfance, éveillant sans doute son intérêt pour les senteurs et les sens », avance l’historien Pascal Brioist, commissaire de l’exposition au château du Clos Lucé. De Vinci se serait donc piqué de curiosité pour les odeurs ? Tout à fait. « D’autant que Léonard, qui se passionne pour les sens – la vue, l’ouïe, mais aussi l’olfaction –, s’inscrit dans une époque de révolution des parfums », souligne Pascal Brioist. De son village natal au château du Clos Lucé où mourut Léonard dans les bras – dit-on – de François Ier, en passant par Florence et Milan, l’historien guide le visiteur dans l’univers olfactif du peintre de LaJoconde.
Le voyage commence dans la campagne toscane, dont la richesse olfactive marque le peintre, d’autant que son époque, le XVIe siècle, apporte aux senteurs une attention nouvelle. Sa mère y est sans doute particulièrement sensible. Carlo Vecce, spécialiste de l’artiste et commissaire de l’exposition du Clos Lucé, a établi récemment, par une étude approfondie des archives de Florence, l’identité de cette dernière. C’était une ancienne esclave, nommée Caterina, enlevée en Circassie, au bord de la mer Noire. Elle aurait ainsi suivi la route des esclaves qui passe par Constantinople et Venise, alors capitale de cette révolution olfactive au cours de laquelle se développent les parfums dilués dans l’alcool et où la graisse animale cède la place aux huiles végétales pour l’élaboration des savons. C’est dans cette ville que la jeune fille est vendue à un riche marchand florentin, avant d’arriver à Florence, où elle officie en tant que nourrice. « La route qu’elle a suivie recoupe celle des parfums et l’imaginaire de Caterina a sans doute profondément marqué Léonard, au point qu’on retrouve, me semble-t-il, le paysage de la région côtière montagneuse où elle a grandi dans l’Annonciation du peintre, conservée au Musée des Offices à Florence », observe Pascal Brioist.Le jeune De Vinci découvre ces senteurs longtemps rêvées à Florence, où il étudie, à partir de l’âge de 13 ans, dans l’atelier polytechnique d’Andrea del Verrocchio, pour y apprendre la peinture, la sculpture et l’orfèvrerie. « Dans cette ville, il hume des odeurs nouvelles, celle du papier des libraires qu’il fréquente, celle des habits aussi qui, au XVIe siècle, sont parfumés avec du musc ou de la civette, comme les gants aussi ! », indique l’historien face au portrait d’un jeune homme tenant un gant d’un suiveur de De Vinci, Francesco di Cristofano, prêté par le Musée des Offices à Florence.
Léonard de Vinci se passionne ainsi pour les alambics, qu’il dessine – en témoigne un magnifique dessin original venu de la bibliothèque Ambrosienne de Milan –, ainsi que pour l’enfleurage. On trouve dans les notes qu’il a laissées des recettes de parfums. « Mets les amandes sans écorces au milieu de fleurs d’orange amère, de jasmin, de troènes ou d’autres fleurs odoriférantes et change l’eau à chaque fois que tu devras renouveler les fleurs afin que les amandes ne prennent pas l’odeur du moisi. Solvants. Enlève l’ammoniac », conseille ainsi le savant. Peut-être a-t-il inventé celle-ci…Il poursuit ses recherches à la cour des Sforza, à Milan, où il arrive à l’âge de 30 ans et où la noblesse locale s’est emparée du parfum dans ses pratiques de distinction, ses costumes et ses fêtes. Le croquis d’un oiselet de chypre, brûle-parfum ouvragé, en témoigne, tout comme le portrait de Cecilia Gallerani, qui fut la maîtresse du duc de Milan, représentée dans le tableau La Dame à l’hermine, portant un collier d’ambre noir, dont émane une odeur caractéristique. « Nous l’avons reconstituée pour l’exposition du château du Clos Lucé, pour permettre aux visiteurs de la sentir ! », s’enthousiasme Pascal Brioist. Lorsqu’au soir de sa vie, Léonard rejoint la cour de François Ier, il arrive en même temps qu’une ambassade vénitienne, porteuse de somptueux parfums qui constituaient alors des cadeaux diplomatiques très appréciés. Qui sait s’ils n’ont pas ravivé, chez ce peintre qui n’a cessé jusqu’à sa mort de reprendre ses tableaux et de parfaire les visages empreints de douceur de Sainte Anne ou de la Joconde, le souvenir du sourire aimant de sa mère ?
Une exposition en odorama
Un voyage olfactif sur les traces Léonard de Vinci et de sa mère Caterina : c’est ce que propose le parcours multisensoriel de l’exposition au château du Clos Lucé, qui transporte le visiteur des marchés parfumés de Constantinople jusqu’à la cour de François Ier, en passant par Venise, la Toscane natale de Léonard, Florence et Milan. À travers quelques pièces exceptionnelles, comme deux dessins originaux venus de Milan pour l’occasion, des objets parfumés, des tableaux, accompagnés de dispositifs olfactifs ou d’un alambic léonardien recréé par des chercheurs, ce parcours stimulant plonge dans le monde parfumé de la Renaissance.
Marie Zawisza
« Léonard de Vinci et les parfums à la Renaissance »,
au château du Clos Lucé, 2, rue du Clos Lucé, Amboise (37), jusqu’au 15 septembre.
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Sur la piste des parfums de Léonard de Vinci
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°777 du 1 juillet 2024, avec le titre suivant : Sur la piste des parfums de Léonard de Vinci