Serge Lemoine réagit à l’exposition « Olafur Eliasson » présentée à la Fondation Louis Vuitton

« On n’a pas le droit […] de faire quelque chose qui a déjà été fait »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 13 janvier 2015 - 734 mots

Ancien directeur du Musée de Grenoble et ancien président du Musée d’Orsay, Serge Lemoine a souhaité réagir à l’exposition « Olafur Eliasson, Contact », présentée jusqu’au 23 février à La Fondation Vuitton, à Paris.

Frédéric Bonnet : Vous avez organisé en 2013 au Grand Palais l’exposition « Dynamo », qui montrait, depuis le début du XXe siècle jusqu’à aujourd’hui, des œuvres en rapport avec la lumière et le mouvement. Olafur Eliasson n’y figurait pas. Pour quelle raison ?
Serge Lemoine : Je l’avais, avec mon équipe, évidemment invité, car j’apprécie beaucoup son travail, mais il a refusé d’y participer et a interdit que j’emprunte des œuvres dans des collections publiques et privées. Je souhaitais montrer deux ou trois pièces anciennes emblématiques qui auraient permis de comprendre que cet artiste travaille dans cette tendance du « lumino-cinétisme » et qu’il en poursuit les objectifs en les teintant à sa manière d’un discours écologique, même si son œuvre comporte d’autres aspects.

F.B : Y avait-il des motivations particulières à son refus ?
S.L : Il m’avait fait une réponse en 2011 dans laquelle il disait : « Je ne souhaite pas participer à votre exposition car je vais avoir une grande exposition à Paris prochainement. » Peut-être était-ce celle de la Fondation Vuitton (il a aussi refusé une exposition au Centre Pompidou). Mais peut-être ne voulait-il pas que son travail soit replacé dans un contexte où l’on aurait pu le situer par rapport à ses contemporains, tels que Ann Veronica Janssens, Carsten Höller, Jeppe Hein, qui sont engagés dans la même direction, et par rapport à l’histoire de l’art du XXe siècle.

F.B : Qu’entendez-vous par là ?
S.L : C’est justement ce que montre l’exposition de la Fondation Vuitton. Dans la première salle, on voit sur le mur des lignes droites parallèles qui sont croisées et en mouvement. L’œuvre de grandes dimensions et qui comprend habilement un miroir est intitulée Map for unthought thoughts. Mais visuellement, plastiquement, esthétiquement, il s’agit d’une œuvre en tous points identique à celles que François Morellet a montrées sous de nombreuses formes depuis 1960.

F.B : Faites-vous référence à des œuvres en particulier ?
S.L : Oui, à la façade de la galerie Denise René en 1971, occupée par ce même système de lignes, ou encore, la même année, à une échelle monumentale cette fois, aux murs de pignon peints du plateau de la Reynie à Paris sur le site du futur Centre Pompidou. L’image a fait le tour du monde. Je renvoie aussi au vestibule du Centre national d’art contemporain, sis rue Berryer en 1972, à l’occasion de la première rétrospective de Morellet en France : l’endroit avait été occupé par ce même réseau de lignes obtenues avec des bandes de ruban adhésif collées sur les murs. Et à de multiples occasions par la suite, comme on pouvait le voir dans la rétrospective de l’artiste que j’ai organisée au Centre Pompidou en 2011. Toutes ses œuvres ont été montrées, vues, publiées.

F.B : Qu’est-ce qui vous fait dire qu’Eliasson s’est inspiré de Morellet ?
S.L : Je ne peux pas affirmer qu’il s’en est directement inspiré, le terme n’est pas approprié. Mais lorsqu’on parvient au niveau où Eliasson se situe, on n’a pas le droit, sinon pour se le réapproprier et le modifier, de faire quelque chose qui a déjà été fait par un autre artiste. Le monde exploré par François Morellet avec ses lignes parallèles superposées qui se croisent et qui sont en mouvement dans toutes sortes d’espaces est quelque chose qui lui appartient. Je trouve dommage qu’Eliasson le reprenne sans vraiment le transformer. Et je crois qu’il aurait dû être mis en garde par les équipes de la Fondation Vuitton. C’est une chose que moi-même je n’aurais pas laissée passer. Il est évidemment intéressant de constater cet « emprunt » au moment où l’on parle de contrefaçon à propos de Jeff Koons.

F.B : D’une manière générale, ne sommes-nous pas confrontés à une circulation effrénée des images dans laquelle les références se perdent ?
S.L : Sans doute. Mais Eliasson n’est pas un débutant et il se montre fier de travailler dans le cadre d’un énorme atelier qu’il entretient à Berlin. Il ne peut pas, même si personne apparemment ne lui en a fait la remarque, obtenir avec ses œuvres des résultats identiques à ceux de Morellet ou, à d’autres occasions, de Carlos Cruz-Díez ou de Nicolas García Uriburu.

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Légendes Photos :
Serge Lemoine. © Artcurial.

Olafur Eliasson, Map for unthought thoughts, 2014. © Photo : Iwan Baan.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°427 du 16 janvier 2015, avec le titre suivant : Serge Lemoine réagit à l’exposition « Olafur Eliasson » présentée à la Fondation Louis Vuitton

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