PARIS - S’il était célébré, de son vivant, comme le plus grand peintre du nu et de la sensualité, le Renoir du XXe siècle a du mal à passer l’épreuve du XXIe siècle.
Lequel siècle n’accepte pas que l’un des piliers de l’avant-garde des années 1870 ait choisi la tangente. Tandis que Monet et Cézanne repoussent toujours plus loin les limites de la figuration et du paysage, Renoir, bouleversé par ses découvertes dans les musées européens tout au long des années 1880, a préféré rejoindre le camp des classiques : Titien, Rubens, Boucher, Raphaël…, c’est-à-dire tous ceux qu’il copiait inlassablement dans les salles du Louvre. Or, comme le démontre placidement dans le catalogue de l’exposition le professeur John House, du Courtauld Institute of Art de Londres, ce passage de l’avant-garde vers l’arrière-garde n’en est pas un : Renoir a beau avoir figuré dans la célèbre exposition des Indépendants de 1874, il a toujours été un partisan du classicisme. La mission de réhabilitation dans laquelle s’est engagée l’exposition du Grand Palais, à Paris, viserait donc à nous ouvrir les yeux. Le Renoir du XXe siècle ne s’est pas égaré, il a en réalité trouvé sa voie à la croisée de l’Antique et du XVIIIe siècle. La modernité ne l’intéresse plus, il se réfugie dans une peinture intime, familiale, non narrative. Sa proximité d’avec les cercles symbolistes y est aussi sans doute pour quelque chose. Pastoraux ou mythologiques, ses sujets n’ont rien de choquant – même la provocante Misia Sert s’affiche en bourgeoise convenable ! Ce n’est cependant pas l’accrochage, aussi lisse que la chair des modèles, qui invite à s’attarder sur les tableaux. C’est une citation d’Henri Matisse au sujet des Baigneuses (1918-1919), festival peu digeste de chairs et de fleurs fraîches qui clôt le parcours de l’exposition : « C’est son chef-d’œuvre, l’un des plus beaux tableaux jamais peints ! », s’exaltait l’auteur de La Danse, des sanglots dans la voix. De quoi rester pantois. La commissaire Sylvie Patry fait part de cette même perplexité dans le catalogue en invoquant le décalage entre le succès critique et commercial d’alors et le mépris actuel – et fait par ailleurs preuve de maladresse en opposant le grand public et les cercles cultivés : peut-on ne pas aimer le dernier Renoir sans être taxé de snobisme intellectuel ? Bâillonnée par un parcours trop bienveillant, la véritable interrogation serait donc la suivante : si Renoir suscitait tant l’admiration de son vivant, pourquoi ses œuvres tardives n’ont-elles pas passé l’épreuve du temps ? Oublions le féminisme : l’obsession pour la figure féminine gonflée à l’hélium, synonyme de nature et de fécondité, n’est pas si dérangeante. Omniprésent, le corps finit par se désincarner et perdre toute signification, comme un mot que l’on répète à l’infini. La femme ne serait qu’une métaphore de la peinture, à laquelle Renoir a voué son existence. Ce n’est pas tant le sujet qui dérange, mais la maniera décorative à outrance. L’ambiance cotonneuse, les visages inquiétants à force d’être identiques, la touche nacrée et floutée, le rose marshmallow, le vert lavasse… Une aversion formelle qui n’est pas sans rappeler celle provoquée il y a 135 ans par les impressionnistes ! Cette exposition ne met rien d’autre en évidence que l’évolution du goût. Il y a un siècle, l’état d’esprit des artistes n’était pas le même. Les acteurs du monde de l’art armés de leur subjectivité propre – collectionneurs, marchands et critiques – non plus. Renoir sera-t-il reconsidéré dans un siècle ? Aux Francis Haskell du XXIIe siècle de nous répondre.
RENOIR AU XXe SIÈCLE, jusqu’au 4 janvier 2010, Galeries nationales du Grand Palais, 3, av. du Général-Eisenhower, 75008 Paris, tél. 01 44 13 17 17, www.rmn.fr, tlj sauf mardi 9h30-22h, 10h-22h le mercredi, 10h-20h le jeudi, ouvert tlj pdt les vacances scolaires sauf le 25 décembre. Catalogue, coéd. RMN/Musée d’Orsay, 464 p., 365 ill., 49 euros, ISBN 978-2-7118-5587-2
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Rendez-vous raté
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Commissariat : Sylvie Patry, conservatrice au Musée d’Orsay ; pour la sculpture, Emmanuelle Héran, conservatrice ; pour les dessins et la photographie, Isabelle Gaëtan, chargée d’études documentaires
Nombre d’œuvres : 200 tableaux, dessins, sculptures et photographies
Scénographie : Pascal Rodriguez, architecte DPLG
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°310 du 2 octobre 2009, avec le titre suivant : Rendez-vous raté