Primitifs flamands

Dans la lumière de Van der Weyden

Pour sa réouverture après une vaste campagne de restauration, le M Leuven, à Louvain, étudie l’influence du maître flamand sur ses contemporains et les raisons de son succès

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 29 septembre 2009 - 823 mots

LOUVAIN (Belgique) - « Il a élevé le Christ en croix avec tant de piété que nul ne peut le regarder sans avoir les yeux noyés de larmes. » Ces quelques vers, rédigés dans les années 1470 par le poète italien Jacopo Tiraboschi, résument à eux seuls l’œuvre de Rogier van der Weyden.

Né entre 1398 et 1400 à Tournai, élève de Robert Campin, Rogier s’installe à Bruxelles en 1435 comme peintre officiel de la ville où le réalisme de ses figures et l’émotion qu’elles procurent remportent un succès unanime. Pour son inauguration (lire l’encadré), le M Leuven, situé à Louvain, non loin de Bruxelles, s’immisce dans l’atelier du primitif flamand afin de mesurer l’ampleur de son influence dans les Pays-Bas méridionaux. Contrairement aux promesses du titre de l’exposition, il ne s’agit pas ici d’une rétrospective de l’œuvre – inutile de chercher la célèbre Descente de croix (1435) du Prado (Madrid) –, mais de l’analyse, non moins passionnante, des raisons de son succès. « Rogier a créé des images immédiatement mémorables, qui pouvaient être aisément imitées. Son œuvre a fait tant d’émules qu’il a imposé à des générations d’artistes européens sa vision des principaux récits du Nouveau Testament et de leurs protagonistes », précise le commissaire de l’exposition Lorne Campbell, conservateur à la National Gallery de Londres. La démonstration fait la synthèse des recherches et met le doigt sur la délicate question des attributions, particulièrement en ce qui concerne les œuvres d’atelier, habilement mises en exergue. La scénographie offre, en effet, de multiples confrontations, obligeant le regard. « Toutes les subtilités du maître tendent à se perdre au fil des répétitions. Quand nous revenons à un original de Rogier van der Weyden, en revanche, nous sommes toujours sûrs d’y trouver de nouvelles complexités, de nouvelles dimensions à explorer », ajoute Lorne Campbell. L’accrochage permet aisément de repérer les originaux des copies. Mais, entre ces deux possibilités, il reste délicat de savoir où s’arrête l’intervention du maître et où commence le travail de ses collaborateurs. Seule la poignée de spécialistes réunie dans le catalogue publié à cette occasion détient les clefs de cet épineux problème qui touche jusqu’au chef-d’œuvre du parcours, Les Sept Sacrements (apr. 1442), prêté par le Musée royal des beaux-arts d’Anvers. Si le panneau central a sans conteste pour auteur Van der Weyden, tout comme les anges des panneaux latéraux, la plupart des protagonistes des trois sacrements sont de la main d’un collaborateur. Autre cas de figure, le Triptyque de l’Annonciation (1435-1440) a été attribué à Van der Weyden jusqu’en 2001. Les spécialistes ont prouvé depuis qu’il avait été exécuté à partir d’un modèle utilisé aussi bien par Rogier que par ses assistants ; modèle révélé par le dessin sous-jacent dans le panneau central. Quant à la Déploration avec le portrait d’un donateur (1460-1464), il demeure impossible d’y circonscrire précisément la main de Rogier. Les scientifiques pourront enfin vérifier de visu si le Portrait de Philippe de Croÿ forme bien un diptyque avec une Vierge à l’Enfant (vers 1460)… La manifestation offre l’opportunité de belles retrouvailles. Ainsi des cinq pièces d’un triptyque de l’Adoration des mages (v. 1490-1495), réparties dans quatre collections. Probablement exécuté par l’atelier de Rogier, il témoigne de l’influence immense du primitif flamand, qui a inventé de nouveaux types de figure. Son personnage de Saint Luc l’Évangéliste dessinant la Vierge (dont la version originale se trouve à Boston) a inspiré nombre de peintres et sculpteurs, à l’image de cette huile sur panneau exécutée vers 1500 ou de la tapisserie d’un atelier bruxellois. Utilisés pour diffuser ses modèles, des dessins de l’atelier du maître sont dévoilés au public. Les visiteurs peuvent découvrir des pièces originales de Van der Weyden restaurées pour l’occasion : la Vierge avec quatre saints ou Vierge Médicis (apr. 1453), et la version bruxelloise de la Pietà (v. 1441). Considérée comme inférieure à l’exemplaire de la National Gallery de Londres, cette huile sur panneau pourrait témoigner d’une tentative de Rogier de renouveler son modèle de Pietà… Autant d’informations qui échapperont à tout visiteur ne sachant pas lire le flamand, car – et c’est le gros défaut de ce parcours –, aucun cartel n’est bilingue. Le nouveau M Leuven n’aura donc pas échappé aux divisions entre Wallons et Flamands, situation embarrassante pour un musée aux ambitions internationales.

ROGIER VAN DER WEYDEN 1400-1464, jusqu’au 6 décembre, M Leuven, Leopold Vanderkelenstraat 28, Louvain, Belgique, tél. 32 16 20 09 09, www.rogiervanderweyden.be, tlj sauf lun. et 1er nov., 10h-18h et 22h le jeu. Catalogue, éd. Davidsfonds, Louvain, 592 p., 59,95 euros, ISBN 978-90-5826-667-5.

VAN DER WEYDEN
Commissaires : Lorne Campbell, conservateur à la National Gallery de Londres, avec un comité scientifique composé de Veronique Vandekerchove (conservatrice, M Leuven) ; Barbara Baert, Brigitte Dekeyzer, Annelies Vogels et Bart Fransen (K.U. Leuven) ; Wim Blockmans (Université de Leiden) ; Lien De Keukelaere, Cyriel Stroo et Dominique Vanwijnsberghe (KIK/IRPA Bruxelles)
Nombre d’œuvres : 100
Superficie : 1 000 m2
Scénographe : Paul Vandebotermet

M comme « Museum Leuven »
En 2002, la Ville de Louvain donne son feu vert pour rénover et agrandir son musée municipal, le Stedelijk Museum Vander Kelen-Mertens. L’architecte Stéphane Beel est désigné deux ans plus tard et les travaux démarrent en 2006. Aux bâtiments initiaux ont été ajoutées deux constructions contemporaines tout en transparence et en ouvertures sur la ville. Le chantier (d’un coût total de 25 millions d’euros) permet au M Leuven de totaliser 13 500 m2 de surface dont la moitié est ouverte au public. Les collections présentées offrent un panorama de la production artistique à Louvain et de l’ancien duché du Brabant, depuis le Moyen Âge au XXe siècle, avec un riche ensemble de sculptures gothiques. L’institution souhaite ouvrir ses espaces aux artistes contemporains à travers des expositions, conférences et publications.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°310 du 2 octobre 2009, avec le titre suivant : Dans la lumière de Van der Weyden

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